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Veillée d’armes

bonnets-rouges-quimper-reutersPetra zo nevez e Breizh ? Tan ha moged zo e-leizh…

Le mouvement de contestation dit des “Bonnets rouges” s’apprête à connaître un nouvel épisode, avec le rassemblement festif de Karaez prévu demain. Je vais livrer ici mon point de vue sur la question.
 

Ce mouvement est largement incompris et critiqué dans la société française. Il transcende les clivages politiques normaux. Il est trop régionaliste. Trop violent aussi. La presse nationalo-parisienne a toutes les peines à le décrire. La gauche, quant à elle, dirige un feu nourri contre cette dynamique qui ne rentre pas dans sa grille de lecture. Encore plus depuis que l’extrême-droite a sauté sur l’occasion pour ranimer la contestation anti-Hollande, dans la foulée de la “manif pour tous”.

La fronde actuelle est la plupart du temps réduite dans les médias à une révolte anti-fiscale, contre l’écotaxe. Celle-ci est sans doute une bonne mesure dans l’absolu. Mais pas maintenant. Et pas en Basse-Bretagne. La mise en place d’une telle taxe, alors que les plans sociaux se succèdent à un rythme soutenu, dans l’agroalimentaire notamment, ne pouvait être comprise.

Derrière ces événements, c’est aussi la question du “modèle” agroalimentaire breton qui est posée. Ce modèle, néfaste a plus d’un titre, est en bout de course. Voir alors les agriculteurs de la FDSEA prendre une part active dans le mouvement n’est pas sans déranger.

Malgré ses contradictions et ses faiblesses internes, je suis convaincu que cette révolte est une grande opportunité pour la Bretagne et les Bretons. Peut-être que, une fois la manif de Karaez passée, le soufflet retombera. Ou à l’inverse une dynamique de contestation s’installera durablement. Dans tous les cas de figure, ce qui vient de se passer ces dernières semaines aura marqué les esprits, et ébranlé un cadre centralisateur asphyxiant.

Il faut rappeler dans quel contexte ont émergé les bonnets rouges. La droite et la gauche se succèdent à la tête de l’Etat, et rien ne change en Bretagne. La décentralisation à la française reste une farce, malgré les promesses de Lebranchu. Quelque soit la conjoncture, c’est Paris qui décide. Les droits linguistiques et culturels des Bretons, on continue de les piétiner  allègrement. La réunification, enterrée. Et puis vient la crise, avec les suppressions de poste à PSA, Alcatel-Lucent et dans l’agroalimentaire. La Bretagne, privée de toute possibilité d’agir sur son présent et son avenir, se prend en pleine face la catastrophe sociale.

L’émergence des bonnets rouges a plusieurs effets bénéfiques. Le premier, à mon sens, est d’avoir lancé un rapport de force avec le pouvoir central, à un moment où la situation semblait archi-bloquée pour la Bretagne. Certes les revendications sont disparates, et certaines discutables (quand elles vont dans le sens du maintien du modèle agricole intensif). Cependant, il se dégage aussi du mouvement la volonté de défendre un territoire, et de contester la main-mise politique de Paris. On ne peut que saluer les positions d’un Kristian Troadeg sur la question. Le slogan essentiel de “vivre, travailler et décider au pays” vient le rappeler avec justesse. L’Etat doit concéder des parcelles de pouvoir pour permettre aux Bretons d’appréhender au mieux la crise et la mutation de leur modèle agricole.

Le deuxième est d’avoir fédéré tous les secteurs de la population, à un tel point qu’on peut dire que le peuple breton (de Basse-Bretagne tout du moins) s’est véritablement mis en branle. La démonstration de force identitaire à Kemper en a témoigné. Elle a passablement heurté en France, et c’est heureux. L’unité affichée et la spécificité identitaire affirmée ont rappelé à la France, à ses élites jacobines, que la Bretagne n’est pas juste une région administrative comme les autres. Les Bretons sont attachées à leur région comme nulle part ailleurs. Le peuple breton n’est pas mort.

Il est fort possible que ce mouvement ne débouche sur rien de concret, tout du moins en terme d’avancées politiques pour la Bretagne. Quelques centaines de millions d’euros de l’Etat, des plans de reprise, ajoutés au futur pacte d’avenir, suffiront sans doute à désamorcer la fronde. Toutes les forces républicaines (syndicats au premier rang) sont déjà à l’oeuvre, pour préserver leur “modèle” républicain hyper-centralisé et éteindre le feu “régionaliste”. Rien n’aura alors véritablement changé ici. La Bretagne restera un nain politique, le modèle agroalimentaire intensif survivra sous perfusion, la crise continuera de dévaster notre tissu social, et les Bretons seront invités à aller chercher du boulot à Paris…

Non, normalement rien ne devrait changer. Mais au moins les bonnets rouges auront-ils eu l’immense mérite de nous sortir un temps de notre résignation.