Monthly Archives: Mae 2013

Pays de barjots

asselifafaffiche figurant François Asselineau, dirigeant du “parti” UPR

Agoravox est un site participatif où tout un chacun peut publier article d’opinion ou texte informatif sur à peu près n’importe quel sujet.  Du coup, on ne va guère s’étonner que divers courants politiques s’en servent comme tribune. Prenons un exemple. Les articles signés de militants du Front de Gauche recueillent en moyenne entre 70% et 80% d’opinions favorables. C’est le cas des articles que publie une certaine Ariane Walter, qui ne se cache pas d’être une véritable groupie de Mélenchon. Comment expliquer que des articles confinant à l’idolâtrie, flattant le sentiment national français, appelant régulièrement à défendre la Nation contre ses ennemis extérieurs (la mondialisation, l’Union européenne, l’anglais…) et intérieurs (nous !, les communautarismes…) soient autant plébiscités par les lecteurs d’Agoravox ? D’une part, on a certainement là un reflet de la crispation identitaire qui agite la société française actuelle. D’autre part, il semble que ce genre de sites participatifs soit sciemment colonisé par les militants de certains courants politiques (pas surprenant qu’un de mes articles n’est pas passé la barre de la validation, avec un collège de modérateurs aussi orienté).

 

Hier, c’est François Asselineau qui publiait une tribune assez hallucinante sur Agoravox, dont le titre donne l’eau à la bouche : Marie-Christine Blandin et EELV poursuivent le travail de sape contre la République française. Pour situer le personnage, voici ce qu’en dit un article paru sur reflets.info :

Prenons l’UPR. L’Union Populaire Républicaine, dirigée avec maestria par le formidable Asselineau : ce parti qui ne veut pas se définir véritablement à droite, veut traverser les courants et réunir des gens autant de droite que de gauche, a une certaine audience grâce à son chef, disons plutôt son gourou.

Un gourou ? Oui, un gourou : comme dans les sectes, l’UPR n’existe que par les analyses et conférences de son gourou. Le gourou disparaît, l’UPR disparaît. L’UPR a des croyances, comme toute secte qui se respecte. Et ce n’est que la croyance centrale qui motive l’UPR. Si dans une secte c’est la croyance que nous allons rejoindre un paradis sur une autre planète en priant le soleil et en se suicidant tous en chœur dans une forêt (le Temple solaire, par exemple), l’UPR croit qu’on peut enfin sortir du marasme politique et économique en quittant l’Europe et l’euro. C’est tout. Sans exagérer. Il suffit de suivre les propositions de l’UPR sur leur site, visionner des conférences du gourou, et vous saurez que :

1) Tous nos problèmes viennent de l’Europe, il faut quitter l’Union européenne
2) Pareil pour l’euro, il faut quitter l’euro
3) Tout peut fonctionner de nouveau super bien en suivant les points 1 et 2

Et comme l’UPR n’a pas de programme, puisque c’est une secte, ni véritablement d’engagement précis au delà de son dogme sectaire, et bien chaque question un peu tendue trouve une réponse par un système référendaire.

 

Et effectivement, à longueur de texte, on est invité à aller voir les conférences, extraits vidéos de conférence, et autres analyses écrites que nous propose Asselineau. Visiblement, multiplier les renvois vers sa littérature est pour lui le moyen d’économiser le travail d’argumentation :

Comme je le rappelle dans ma conférence “Mais où est passée la République française ?”, le « sang impur » dont parle notre hymne national ne désigne nullement le sang d’ennemis étrangers mais, tout au contraire, le sang du peuple français qui est prêt à mourir en martyr pour défendre sa liberté nouvellement conquise.

 

Le “sang impur” serait donc celui du peuple français qui meurt en martyr. On pouffe de rire devant la démonstration. Il se lâche ensuite sur la carte ci-dessous, trouvée sur le site d’EELV :

 

KartennFrañsEELV

Comme je l’ai fait remarquer dans ma conférence, cette carte viole effrontément la première ligne de l’Article Ier de la Constitution de la République française, qui dispose que “la France est une République indivisible”.

La fusion des départements alsaciens, savoyards et corse, la réunification de la Bretagne, la création de collectivités basque et catalane… ça ne va pas chercher bien loin, et pourtant, pour Asselineau, c’est déjà une déclaration de guerre contre la France ! S’ensuit un passage assez flippant où le fada de l’UPR n’hésite pas à jouer l’inquisiteur :

 

La publication d’une telle carte sur le site Internet officiel d’un parti politique qui compte 2 ministres au gouvernement (Cécile Duflot et Pascal Canfin) aurait dû, si les mots et le droit constitutionnel ont encore un sens, valoir le renvoi de ces deux ministres et le lancement de poursuites judiciaires contre leur parti politique pour atteinte contre la sûreté de l’État.

 

“Atteinte à la sûreté de l’Etat”, rien que ça ! On rit un peu jaune quand on imagine ce qu’un Asselineau parvenu au pouvoir (au passage, il a été directeur de cabinet de ministres du gouvernement Juppé et proche de Charles Pasqua) serait capable de faire contre les “séditieux” visant à “détruire la République française”.

L’article de François Asselineau pointe, à l’heure où j’écris ces lignes, en deuxième place des articles les plus lus. Le nombre de commentaires atteint le chiffre ahurissant de 335. Et surtout, surtout, il recueille 77% d’opinions favorables (avec un total énorme pour Agoravox de 106 votants). Oui, plus de trois-quarts des votants a acquiescé à l’argumentaire et à la vindicte de cet individu.

Quand je parlais d’un pays de barjots…


La paix c’est la guerre

Euskariz dastumet

 

Le 20 octobre 2011, l’organisation basque armée ETA décrétait un “cessez-le-feu définitif”. Mardi 7 mai 2013, 6 militants de cette même organisation étaient arrêtés simultanément en trois endroits différents de France. Cela porte à 36 le nombre d’etarras arrêtés depuis l’arrivée au pouvoir de la droite en Espagne, en novembre 2011, coïncidant à peu près avec le cessez-le-feu d’ETA. Le gouvernement espagnol fanfaronne, Manuel Valls jubile. La presse, quant à elle, reprend comme à son habitude les communiqués émanant des ministères de l’intérieur français et espagnol. Sans jamais (se) poser de question.

 

Il y a un processus de paix en cours au pays basque. Depuis quelques années, la mouvance séparatiste basque s’est engagée dans une dynamique irréversible de rupture avec la violence. Les armes d’ETA se sont tues. Des observateurs internationaux, spécialistes de la résolution de conflit, sont présents au Pays basque pour superviser le processus et appuyer la gauche indépendantiste dans sa démarche. Il est désormais acquis dans la société basque que la lutte pour l’indépendance doit passer par des moyens uniquement démocratiques. Une occasion historique se présente de mettre un terme définitif à des décennies de violence et de souffrance, dans les deux camps. 

 

Le gouvernement espagnol, et son affidé Manuel Valls, ne reconnaissent pas ce processus de paix. Les pas en avant des séparatistes basques, en direction d’une résolution pacifiée du conflit, sont superbement ignorés. Leurs chaises à la table des négociations restent désespérément vides, au grand dam des observateurs internationaux. La question des 800 prisonniers basques de l’ETA, au centre de la résolution du conflit, ne bouge pas d’un iota. Les détenus malades et ceux pouvant bénéficier de liberté conditionnelle sont maintenus en détention. Les cours spéciales espagnoles continuent de prononcer des peines démesurées. La politique d’éloignement et de dispersion des prisonniers se poursuit. Arnaldo Otegi, leader de la gauche indépendantiste basque et promoteur du processus de paix, est dans sa troisième année d’incarcération. Et les etarra encore en clandestinité, de même que les militants politiques (on n’oublie pas que Manuel Valls a livré à l’Espagne la militante politique Aurore Martin), sont pourchassés par les polices des deux Etats.

 

L’opinion publique applaudit, la lutte anti-terroriste est toujours aussi efficace et Manuel Valls continue de gagner ses galons de premier caporal de France. La presse ne cherche pas à questionner ce qu’elle ne comprend pas, et au fond ce dont elle se fout. L’Espagne et la France luttent de concert contre le terrorisme basque. Voilà tout ce qu’il y a à retenir.

 

Espagne et France ne sont pas intéressées par la paix. Ce qu’elles veulent, c’est la victoire totale, l’écrasement de l’ennemi intérieur, sa reddition complète et sans condition. Les précédents exemples de résolution de conflit, en Afrique du Sud et en Irlande notamment, leur auraient pourtant montré qu’une paix se construit avec toutes les parties concernées. Les Etats doivent eux aussi faire des concessions. Dans cette optique, la question de l’amnistie des prisonniers est cruciale. Elle est la condition sine qua non d’un retour à un climat pacifié.

 

Aucun geste de bonne volonté ne va dans le sens d’une amnistie, ne serait-ce que partielle, des militants basques. La poursuite d’une répression impitoyable du mouvement séparatiste a, il est vrai, de commodes avantages. Dans un climat de crise, elle permet à nos gouvernants de s’octroyer de petits succès de prestige non négligeables. En ciblant (et en entretenant) un ennemi intérieur, elle contribue à détourner l’attention de l’opinion publique tout en renforçant la cohésion nationale. C’est enfin une question de fierté nationale, l’ordre républicain, comme son homologue espagnol, doivent régner sur tout le territoire national. On ne transige pas avec. Les “événements d’Algérie”, la ratonnade de mai 1967 en Guadeloupe, l’assaut sanglant de la grotte d’Ouvéa en 1988, et d’autres encore, ont montré par le passé que l’on ne s’embarrasse guère des Droits de l’Homme lorsqu’il est question de l’ordre républicain.

 

La société basque attend des mesures d’apaisement, et elle a devant elle deux Etats sourds et muets, mais sûrs de leur force. Alors que la paix définitive semble à portée de main, chaque arrestation et condamnation vient crisper et exaspérer un peu plus les acteurs du processus de paix. En cas d’échec de ce dernier, les Etats français et espagnols devront en porter l’entière responsabilité.