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Nationalisme ?

Le 11 mai dernier, les Français élisaient leur nouveau monarque après une campagne électorale où il aura été fréquemment question de nationalisme avec l’accession de Le Pen au second tour. Une semaine plus tard, la Fête nationale de la langue bretonne se déroulait à Langoned, avec une assistance bien éloignée des 12 000 personnes comptabilisées en 1997. A l’occasion d’un débat organisé lors de la fête, il est rapporté que certaines personnalités appelèrent à une “fête internationale de la langue bretonne”.

 

La dimension “nationale” de la fête, assumée par les organisateurs, dérange. Rien de bien étonnant à cela. Le concept de nationalisme est connoté très négativement en France et est systématiquement associé à la droite extrême. Nombre de commentateurs ont, pendant la campagne, ciblé Marine Le Pen et “son nationalisme“. S’est ainsi imposée l’idée dans le paysage politico-médiatique français que le nationalisme est une doctrine d’extrême-droite. La progression des nationalistes corses, perçue en France avec une très grande suspicion, ne fait que conforter cette connotation négative dans l’imaginaire français.

 

Le mouvement breton, ce qu’il en reste du moins, tend à s’aligner sur ce sens commun et à renier sa dimension nationale. Au siècle dernier, le nationalisme breton, multiforme car de droite mais aussi de gauche, avait connu une montée en puissance certaine qui ont abouti à un certain nombre de réalisations. Il est aujourd’hui évanescent, tout comme l’Emsav politique, et ce n’est pas un hasard. Nous refoulons notre nationalisme et subissons défaite électorale sur défaite électorale au moment même où les Corses, les Basques, les Ecossais et les Catalans le brandissent en étendard victorieux. Destins croisés.

 

Cette conscience nationale qui s’amenuise en Bretagne n’est donc pas sans conséquence. Sur le plan politique évidemment, les Bretons continuent dans les urnes d’approuver un système hyper-centralisé qui lèse la Bretagne et profite d’abord à Paris. Sur le plan identitaire, on assiste à l’élargissement d’une identité bretonne de pacotille ne reposant plus que sur du vent (une part de plus en plus grande de la population n’a strictement aucune connaissance de l’histoire de Bretagne, de sa culture, particulièrement de sa langue). Sur le plan linguistique justement, la réappropriation de la langue bretonne piétine et le déficit de conscience nationale collective et individuelle chez les acteurs du renouveau de la langue y contribue. J’en veux pour preuve le manque d’entrain de la nouvelle génération de bretonnants à utiliser le breton au quotidien et à le transmettre en famille.

 

Le Pays basque (sud) est un bon étalon de comparaison. Il y existe une corrélation très forte entre connaissance du basque et conscience nationale. Contrairement aux zones non-bascophones, bien moins conscientisées, la zone bascophone centrale est un véritable bastion du nationalisme basque. L’attachement à la langue, à la culture et à l’identité basque y est très puissant et généralisé. Le comportement électoral s’en ressent avec une domination sans partage des partis nationalistes au niveau local, soit orienté à gauche (Sortu), soit à droite (EAJ-PNV).

 

Si la revendication bretonne, politique et culturelle, est aussi insignifiante aujourd’hui, c’est d’abord parce que le nationalisme breton a reflué. L’Emsav n’a pas réussi, contrairement aux Corses, à proposer au peuple breton une voie nationaliste convaincante. Ne serait-ce que dans les mots, plus beaucoup de militants (à gauche particulièrement) n’assument ouvertement le qualificatif de nationaliste (tout comme celui d’indépendantiste d’ailleurs, les deux sont liés). L’étiquette “régionaliste” se développe, et c’est tout sauf un hasard, montrant notre difficulté à assumer une revendication plus radicale. Le sens commun français est en passe de domestiquer la Bretagne révoltée.

 

Revenons maintenant sur cette conception française du nationalisme, considérée dans le langage courant comme apanage de l’extrême-droite. On a envie d’en rire, tellement la campagne présidentielle a montré à quel point le nationalisme est en réalité une doctrine partagée par l’ensemble du spectre politique français, à des degrés divers certes mais globalement de plus en plus décomplexée.

 

L’écrivain et militant basque Jean-Louis Davant vient justement de sortir un livre en basque à propos de ce nationalisme français non assumé par le système politico-médiatique actuel, mais aussi par le français moyen (Frantzia eta nazioa, éditions Maiatz, mai 2017). Ecoutons-le décrire en français cette véritable schizophrénie française :

Dans le livre en question j’essaie d’explorer les arcanes d’un nationalisme français classique, nationalisme profond, inconscient et tranquille : sources, bases, contenus, attributs, conséquences, retombées…

Au terme du voyage, j’ai découvert en statue du Commandeur la figure paradoxale du Français moyen qui me laisse perplexe.

Imbu de principes universalistes, il est souvent un hyper-nationaliste qui s’ignore. Son raisonnement baigne dans l’universel. Il est le prototype de l’homo universalis, le cartésien et l’adepte des Lumières, l’inventeur des Droits de l’homme et du citoyen, le précurseur en tout, donc le modèle à suivre.

Quand il nous dit de façon pathétique : “Mais enfin, soyez comme tout le monde”, cela signifie concrètement et naïvement “soyez comme moi”.

En 1789 il proclama LA Nation universelle, mais la communauté qu’il bâtit est forcément comme toute autre une nation particulière, avec un ancêtre ethnique, le Gaulois, et une langue régionale, celle de Paris, très minoritaire dans le royaume de France qui, bientôt, sera LA République, également universelle.

Il a du mal à saisir le patriotisme des autres peuples, surtout sans Etat : il l’appelle nationalisme.

 

Ce peuple est tellement imbu de lui-même qu’il en vient à nier l’évidence, comme celle de la montée du nationalisme français, chez son personnel politique mais aussi dans toutes les strates de la population. L’alternative est alors la suivante. Soit dénationaliser la question bretonne et la ramener à une simple problématique régionale, avec le risque de diluer la revendication bretonne pour de bon. Soit assumer un véritable nationalisme breton, de défense de notre identité face à ce nationalisme français inavoué, et en même temps ouvert aux évolutions actuelles du monde.

 

 

 

 


La paix c’est la guerre

Euskariz dastumet

 

Le 20 octobre 2011, l’organisation basque armée ETA décrétait un “cessez-le-feu définitif”. Mardi 7 mai 2013, 6 militants de cette même organisation étaient arrêtés simultanément en trois endroits différents de France. Cela porte à 36 le nombre d’etarras arrêtés depuis l’arrivée au pouvoir de la droite en Espagne, en novembre 2011, coïncidant à peu près avec le cessez-le-feu d’ETA. Le gouvernement espagnol fanfaronne, Manuel Valls jubile. La presse, quant à elle, reprend comme à son habitude les communiqués émanant des ministères de l’intérieur français et espagnol. Sans jamais (se) poser de question.

 

Il y a un processus de paix en cours au pays basque. Depuis quelques années, la mouvance séparatiste basque s’est engagée dans une dynamique irréversible de rupture avec la violence. Les armes d’ETA se sont tues. Des observateurs internationaux, spécialistes de la résolution de conflit, sont présents au Pays basque pour superviser le processus et appuyer la gauche indépendantiste dans sa démarche. Il est désormais acquis dans la société basque que la lutte pour l’indépendance doit passer par des moyens uniquement démocratiques. Une occasion historique se présente de mettre un terme définitif à des décennies de violence et de souffrance, dans les deux camps. 

 

Le gouvernement espagnol, et son affidé Manuel Valls, ne reconnaissent pas ce processus de paix. Les pas en avant des séparatistes basques, en direction d’une résolution pacifiée du conflit, sont superbement ignorés. Leurs chaises à la table des négociations restent désespérément vides, au grand dam des observateurs internationaux. La question des 800 prisonniers basques de l’ETA, au centre de la résolution du conflit, ne bouge pas d’un iota. Les détenus malades et ceux pouvant bénéficier de liberté conditionnelle sont maintenus en détention. Les cours spéciales espagnoles continuent de prononcer des peines démesurées. La politique d’éloignement et de dispersion des prisonniers se poursuit. Arnaldo Otegi, leader de la gauche indépendantiste basque et promoteur du processus de paix, est dans sa troisième année d’incarcération. Et les etarra encore en clandestinité, de même que les militants politiques (on n’oublie pas que Manuel Valls a livré à l’Espagne la militante politique Aurore Martin), sont pourchassés par les polices des deux Etats.

 

L’opinion publique applaudit, la lutte anti-terroriste est toujours aussi efficace et Manuel Valls continue de gagner ses galons de premier caporal de France. La presse ne cherche pas à questionner ce qu’elle ne comprend pas, et au fond ce dont elle se fout. L’Espagne et la France luttent de concert contre le terrorisme basque. Voilà tout ce qu’il y a à retenir.

 

Espagne et France ne sont pas intéressées par la paix. Ce qu’elles veulent, c’est la victoire totale, l’écrasement de l’ennemi intérieur, sa reddition complète et sans condition. Les précédents exemples de résolution de conflit, en Afrique du Sud et en Irlande notamment, leur auraient pourtant montré qu’une paix se construit avec toutes les parties concernées. Les Etats doivent eux aussi faire des concessions. Dans cette optique, la question de l’amnistie des prisonniers est cruciale. Elle est la condition sine qua non d’un retour à un climat pacifié.

 

Aucun geste de bonne volonté ne va dans le sens d’une amnistie, ne serait-ce que partielle, des militants basques. La poursuite d’une répression impitoyable du mouvement séparatiste a, il est vrai, de commodes avantages. Dans un climat de crise, elle permet à nos gouvernants de s’octroyer de petits succès de prestige non négligeables. En ciblant (et en entretenant) un ennemi intérieur, elle contribue à détourner l’attention de l’opinion publique tout en renforçant la cohésion nationale. C’est enfin une question de fierté nationale, l’ordre républicain, comme son homologue espagnol, doivent régner sur tout le territoire national. On ne transige pas avec. Les “événements d’Algérie”, la ratonnade de mai 1967 en Guadeloupe, l’assaut sanglant de la grotte d’Ouvéa en 1988, et d’autres encore, ont montré par le passé que l’on ne s’embarrasse guère des Droits de l’Homme lorsqu’il est question de l’ordre républicain.

 

La société basque attend des mesures d’apaisement, et elle a devant elle deux Etats sourds et muets, mais sûrs de leur force. Alors que la paix définitive semble à portée de main, chaque arrestation et condamnation vient crisper et exaspérer un peu plus les acteurs du processus de paix. En cas d’échec de ce dernier, les Etats français et espagnols devront en porter l’entière responsabilité.

 

 


La langue bretonne en perdition

« On l’apprend de plus en plus, mais on ne l’entend plus… »

Ces propos teintés d’amertume, je les ai entendus récemment d’une personne âgée bretonnante, qui s’étonnait de voir un jeune comme moi parler breton. Je trouve qu’ils résument parfaitement la situation de la langue bretonne. En effet, si elle gagne pas à pas du terrain dans la vie publique, sa pratique n’en recule pas moins de façon dramatique. Ce constat m’a donné l’envie de mettre sur le papier mes réflexions sur la langue bretonne.

Etat des lieux

 

Le nombre de locuteurs baisse à vitesse constante. Nous serions aujourd’hui environ 200 000 personnes connaissant le breton, la majorité d’entre-eux ayant plus de 60 ans. L’ampleur de la chute est nette quand on compare ce chiffre au million de locuteurs que connaissait la langue au début du XXe siècle. Rapporté à la population de Basse-Bretagne (environ 1,5M d’habitants), cela donne un pourcentage d’approximativement 15% de gens étant capable de le parler. Les bretonnants sont donc largement minoritaires sur le territoire historique du breton. Sur les 200 000 locuteurs actuels, quelques dizaines de milliers (30 000-40 000 ?) sont des néo-bretonnants, ayant appris de façon « non-naturelle ». Le nombre de bretonnants va vraisemblablement continuer de décroître rapidement dans les 20 années qui viennent pour se stabiliser autour de 40 000 locuteurs, soit 3% de la population de Basse-Bretagne… On est bien loin d’une langue largement partagée sur le territoire bas-breton.

La transmission familiale est depuis quelques dizaines d’années résiduelle, et ne concerne plus guère que quelques familles et parents noyés dans un océan francophone. Le contexte linguistique est tellement hostile et étouffant qu’élever son enfant en breton est une véritable gageure. Je connais trop de jeunes parents bretonnants qui ont finalement opté pour le français (certains n’ont même pas essayé de parler breton à la maison…). Le plus dur certainement est de voir des amis, extrêmement attachés à la langue, renoncer progressivement à parler breton à leurs enfants parce que tout autour d’eux les en dissuade. Etant moi-même parent, je peux confirmer que parler breton à son enfant est largement perçu comme une excentricité, et ce dans un secteur pourtant encore très bretonnant. L’enfant, lui, comprend très vite quelles places occupent l’une et l’autre langue dans la société, et il faut dès lors faire preuve d’une volonté à toute épreuve pour inverser son inclination à parler français. Deviendra-t-il locuteur ? Il n’y a malheureusement aucune certitude.

La formation de nouveaux bretonnants repose ainsi désormais complètement sur l’école et les cours pour adultes. Quelques 5000 adultes fréquentent les cours du soir ou les stages, mais une bonne partie d’entre-eux ne deviendra jamais bretonnante. Quant aux écoles bilingues ou immersives, la plus belle réussite du combat pour la langue bretonne (Dihun, Divyezh, Diwan), elles comptabilisent à elles trois 14 000 élèves sur toute la Bretagne, soit près de 5% des élèves de Basse-Bretagne. Cela signifie que 95% des enfants de Basse-Bretagne, une très large majorité donc, font leur scolarité sans contact ou presque avec la langue bretonne. La croissance de ces écoles en breton tend maintenant à se tasser, et de gros écueils demeurent comme dans le secondaire où le nombre d’élèves quittant l’enseignement en breton est conséquent, faute d’offre adéquate. Ajouté à cela le fait que ces élèves apprennent dans le cadre scolaire une langue que leur famille (pour une grande majorité) et la société n’utilisent plus, et on peut légitimement se demander combien, sur ces 14 000 élèves, seront de véritables bretonnants, et parmi ces derniers, combien utiliseront et transmettront le breton à l’âge adulte… Je crains que ces pourcentages ne soient assez déprimants.

Tout autant que les chiffres, la qualité de la langue est très inquiétante. Si le vocabulaire des locuteurs naturels est largement francisé, il n’en reste pas moins la référence sur le plan de la prononciation, de l’intonation, de la syntaxe et surtout de l’esprit de la langue. Or, le moins que l’on puisse dire, est que le breton utilisé en général par les néo-bretonnants est médiocre sur tous ces plans (il y a heureusement des exceptions). Au final, deux bretons cohabitent, celui des locuteurs natifs et celui des néo-bretonnants, et l’intercompréhension entre les deux est loin d’être évidente. Si le vocabulaire de ces derniers est « purifié » (autrement dit purgé au maximum des emprunts au français), tout le reste est lui dramatiquement francisé. Au point qu’il soit assez pénible de l’écouter, pour quiconque a dans l’oreille le breton « authentique ». Le jugement peut paraître sévère, mais on ne peut esquiver ce réel problème de la qualité de langue utilisée par la plupart des néo-bretonnants. Plusieurs facteurs contribuent à cette dégradation de la langue, au premier rang desquels la non-transmission familiale, et je peux témoigner des efforts conséquents qu’exige l’apprentissage d’un breton “propre” alors que le bain linguistique n’existe plus. On voit clairement les problèmes que cela peut poser, particulièrement dans les écoles, beaucoup trop d’enseignants n’ayant qu’une maîtrise très insuffisante de la langue (cf le constat assez désabusé que fait Mikael Madeg dans ses derniers livres, notamment dans Parler breton à son enfant). Cependant, parler un breton approximatif ne doit absolument pas être considéré comme une fatalité, et le perfectionnement de son breton devrait être pour chaque apprenant un objectif sur le long terme.

Les querelles d’orthographes me paraissent dès lors bien vaines, d’autant plus stériles que, jusqu’à preuve du contraire, on n’apprend pas à parler correctement une langue par l’écrit. L’orthographe peurunvan a sans doute des défauts, mais c’est elle qui est employée par l’immense majorité des bretonnants lettrés, et je ne vois guère le gain au niveau linguistique qu’il y aurait à en changer. Certains la rendent pourtant responsable du breton médiocre qu’on entend actuellement, voire en font un des aspects d’une supposée novlangue, le « néo-breton », chimère forgée par le mouvement breton pour remplacer le breton authentique. L’ânerie est tellement grosse qu’elle en est devenue un argument des jacobins pour disculper l’Etat français de la destruction du breton (cf Mélenchon qui la reprend désormais à son compte). C’est ainsi que sont mis sur le même plan l’orthographe peurunvan, la création de néologismes, l’œuvre linguistique de Roparz Hemon, la mauvaise prononciation et les erreurs de syntaxes des jeunes bretonnants, les écoles Diwan, etc., tout ce qui caractériserait en somme le « néo-breton » des nationalistes et s’opposerait au breton populaire. Mon but ici n’est pas de dédouaner le mouvement breton de certaines dérives linguistiques (la purification à outrance du vocabulaire, le mépris parfois pour le breton populaire, l’entreprise pour le moins élitiste et idéologiquement douteuse de Roparz Hemon), mais d’affirmer que la cause majeure de la faible qualité de langue des néo-bretonnants ne relève pas de la politique (l’idéologie nationaliste transposée à la langue) mais de la socio-linguistique (la non-transmission familiale). Si les néo-bretonnants peinent à maîtriser le breton, c’est bien parce qu’il leur manque ce bain linguistique si indispensable. D’ailleurs, l’Occitanie connaît exactement les mêmes problèmes de qualité de langue que nous, sans que l’idéologie y ait un poids aussi important qu’ici.

Les chiffres sont donc assez parlants et montrent combien les bretonnants occupent une place marginale dans la société. Ils sont corroborés par cette impression globale, ce sentiment que le breton a terriblement reculé dans les usages sociaux. Les occasions se font de plus en plus rares de surprendre des conversation en breton. Dans les commerces, les bars, les allées de boules, on l’entend encore le breton, mais de façon très occasionnelle maintenant. Et au vu de l’âge des locuteurs, on se dit que dans une vingtaine d’années, il est envisageable que le breton ne s’entende plus nulle part. Dans les événements militants bien sûr, on continuera de le pratiquer. Mais ailleurs dans la société, la pratique orale risque fort de n’être plus que dérisoire, et revêtir un côté très exotique pour l’immense majorité des Bretons (il commence déjà à l’être). Il est sans doute là, le signe le plus fort que la langue, nous sommes irrémédiablement en train de la perdre.

Et pourtant, dans l’esprit de beaucoup, nous l’avons sauvée la langue bretonne. Les écoles Diwan, les (maigres) émissions de radio et de télé, les dictionnaires et publications en tout genre, l’Office public de la langue bretonne, les panneaux bilingues, la reconnaissance institutionnelle par la région, tout cela témoigne indubitablement d’une certaine vitalité. Au point de sans doute créer une certaine illusion sur l’état réel de la langue. Tout ces acquis gagnés depuis les années 1970 contribuent à former un écran de fumée, et nombre de Bretons considèrent sans doute trop vite la langue comme sauvée. Certes, elle continue de gagner des espaces. Sa présence écrite dans l’espace public ne cesse de croître, et c’est évidemment une bonne chose. Sur internet, son importance est même quelque peu disproportionnée par rapport à son poids sociétal réel (autour du 50e rang sur Wikipedia, campagne pour l’interface en breton de Facebook, etc.). On peut s’en réjouir, mais ces succès relèvent plus de la symbolique qu’autre chose et n’ont guère d’impact sur la société. Comme si l’on édifiait un décor quand l’essentiel se perd, la pratique quotidienne.

Quelques considérations personnelles

 

Les efforts militants ont permis quantité d’avancées, et pourtant nous avons certainement échoué. Le breton est aujourd’hui au bord du précipice. Encore que, on trouvera plus mal en point que nous.  Il est vrai que toutes les langues dites « de France » (vous savez, ces langues que la France détruit mais qu’elle s’approprie sans vergogne comme faisant partie de son “patrimoine”…) dévalent la même pente fatale. Certaines sont proches du choc final, comme l’occitan limousin (cf le splendide livre de Jan dau Melhau, Ma lenga, dont j’aurai l’occasion de parler). D’autres, tels les créoles et le basque, sont encore en haut et n’ont pas pris trop de vitesse. Nous, nous sommes au milieu de la pente, mais notre tour viendra, inéluctablement. Et ils viendront recouvrir les dépouilles de nos langues de leur drapeau tricolore. L’Hexagone est d’ores et déjà un cimetière de langues et de cultures. Il faudra bien que les responsables de cette dévastation rendent des comptes. L’Etat français au premier chef, qui a toujours tout fait pour que nos langues soient piétinées par le français, langue élue, langue du pouvoir. D’ailleurs, on nous dit et redit que nos langues sont « régionales ». « Régionales », parce que d’un échelon administratif subalterne, inférieur. Tout est dit. Nos langues sont “régionales”, donc inférieures. Leur langue est nationale, donc supérieure. Voilà comment, en France, l’on inscrit dans le marbre l’inégalité entre les langues. Ma langue, ni aucune autre, n’est régionale. Elles sont toutes nationales, parce que l’expression vivante de peuples et de nations qui ne veulent pas mourir.

Le peuple breton, on la lui a extirpé sa langue, sans anesthésie, kriz-ha-kriz. A coups de brimades et de vexations, et en la chassant de l’espace public. On lui en a greffé une nouvelle. La société rurale bas-bretonne est passée en un siècle d’un monolinguisme à un autre, du breton au français, après un bref moment diglossique (deux générations). Les Bretons, en perdant leur langue et leur âme, ont gagné le droit d’accéder à la foutue culture universelle de leur colonisateur. Surtout à leur marché du travail en fait. La Basse-Bretagne aurait fort bien pu devenir un territoire bilingue, comme d’autres autour de nous (Catalogne, Pays Basque, Frise, Pays de Galles, etc.), où les deux langues cohabiteraient à peu près harmonieusement. Mais en France, ce n’est pas comme ça que l’on envisage les choses. L’obsession pour l’unité imposait d’écraser tout ce qui différait par trop de la langue centrale. Nos langues, qui pouvaient tout dire dans toutes les sphères de la vie, ont été rabaissées au rang de patois, et leurs locuteurs frappés de bêtise. Le gâchis est grand, monumental même.

Les autres responsables de la perte du breton, ce sont les Bretons eux-mêmes. Les élites d’abord, qui de tout temps ont trahi le peuple et singé le colonisateur. Les nobles de l’Ancien régime, aveuglés par les lumières de la monarchie versaillaise, ont été les premiers à délaisser notre langue nationale. Puis les élus, les fonctionnaires, les enseignants, tous ces petits laquais de la République, ont parachevé le travail d’uniformisation en appliquant avec zèle le dogme français d’un pays – une nation – une langue. Le peuple, moqué dans sa langue et son identité, humilié par l’école, lâché par ses élites, a baissé la tête. Les rares exemples de résistance (Anjela Duval !) ne font que confirmer la règle d’une soumission complète des Bretons à l’ordre linguistique imposé. Alors, on trouve aujourd’hui des personnes qui croient que la République n’est pas foncièrement hostile aux langues minoritaires,  et mieux, qu’il ne manque pas grand-chose à la France pour se mettre à protéger et revivifier son patrimoine linguistique (cf ce courant minuscule du Front de Gauche qui milite pour les langues minoritaires). Surtout, nous disent-ils, éloignons de nous la tentation de l’autonomie régionale. C’est dans le cadre de la France centralisée, par des lois républicaines, et dans le cadre de l’Education nationale, que doit s’envisager l’avenir de nos langues. C’est notre tombe qu’ils creusent oui ! La vérité est que ces idiots utiles, en bons républicains, tentent de marier jacobinisme et diversité linguistique, autrement dit l’eau et le feu.

 

La langue est dans une situation déplorable, et tout le monde ou presque s’en accommode. La société bretonne, dirigeants politiques en tête, a presque complètement intégré le dogme républicain : le culte de la langue unique, le credo de l’unité et de l’indivisibilité de la France. L’opinion publique, façonnée par l’école et les médias, se révèle particulièrement ignorante sur un sujet comme celui des langues « régionales ». En Bretagne, nombre de préjugés, croyances et approximations circulent à propos des langues de Bretagne. Personne n’a été leur expliquer ! En France, c’est pire encore, car à la méconnaissance se rajoute la méfiance. Le peuple français a intériorisé le dégoût des élites républicaines pour les patois. Cela ne dérange personne tant que l’on en reste au stade de la comédie burlesque (cf Bienvenue chez les Ch’tis), mais dès que l’on parle de bilinguisme généralisé dans certaines régions, le Français s’insurge. Il y a bien entendu nombre de Français ouverts sur la question, mais globalement on ne peut pas dire que l’opinion publique française soit réellement favorable à une vraie diversité linguistique. D’ailleurs, les Bretons eux-mêmes, si on allait les chercher un peu, se singulariseraient-ils des Français ? On nous dit que 90% d’entre-eux sont favorables à la survie de la langue bretonne. Merveilleux. Il y a tout lieu de penser cependant que cela n’est qu’une prise de position gratuite n’engageant à pas grand-chose (ce que confirme le faible engouement populaire pour la cause de la langue bretonne, il ne faut pas se faire d’illusion). Les gens n’étant guère amenés à réfléchir sur le bilinguisme, ou ce qu’implique la sauvegarde d’une langue minoritaire, il y a fort à parier que des réticences importantes apparaîtraient avec des questions plus concrètes comme celles-là :

« êtes-vous favorable à la généralisation de l’enseignement en breton ? »

« êtes-vous d’accord avec les parents qui élèvent leurs enfants en breton ? »

« êtes-vous favorable à la possibilité d’utiliser le breton dans les services publics ? »

 

Au vu des obstacles en tout genres, notamment politiques, il semble vraisemblable que les Bretons ne se réapproprieront pas leur langue. Quand bien même la Bretagne obtenait enfin une autonomie digne de ce nom, avec de vrais moyens pour une politique linguistique, il n’est pas certain que les résultats soient au rendez-vous. Un scénario à l’irlandaise serait sans doute le plus probable, avec une population rétive à se réapproprier sa langue. L’attachement des Basques ou des Gallois a leur langue est sans commune mesure avec celui des Irlandais ou des Bretons.

 

Notre langue, nous allons la perdre, mais nous avons le devoir malgré cela de nous battre contre cette injustice et de sauver ce qui peut l’être. Tant que nous la ferons vivre, nous adresserons un formidable “MERDE” à ce pays qui veut nous rayer de la carte depuis des siècles. Leur langue française et leur francophonie, je n’en ai rien à foutre. Qu’ils crèvent. Ce ne sera que juste vengeance. La destruction de notre langue justifie toutes les destructions.

 

PS1 : j’ai écrit ce texte en français, et je m’en explique. D’une part, j’ai plus de facilité à écrire en français sur des sujets un peu complexe (et j’avoue en toute franchise que mon bilinguisme breton-français n’est pas encore équilibré ; le sera-t-il un jour ? ). D’autre part, la langue bretonne est suffisamment présente dans mon quotidien et mon environnement pour ne pas ressentir la nécessité absolue d’écrire en breton.

 

PS2 : le breton est avant tout la langue de la Basse-Bretagne. C’est sur ce territoire que devraient s’appliquer une politique linguistique ambitieuse et des droits élargis pour les bretonnants. Concernant la Haute-Bretagne, il n’est pas illogique que Nantes et Rennes, en tant que capitales bretonnes abritant de nombreux bretonnants, donne une large place à la langue. Pour le reste de la Haute-Bretagne, on ne peut faire comme si le gallo n’existait pas ou plus. et il ne me paraît pas logique et souhaitable d’aller y revendiquer du breton. Que le gallo soit valorisé sur son aire naturelle devrait être une préoccupation de tout nationaliste breton.


Le jour où l’Europe balaya la France


Tout commença lors de l’été 2012. Le peuple grec était à l’agonie, pris à la gorge par une classe dirigeante elle-même aux ordres du libéralisme mondial. Les manifestations étaient quotidiennes, impressionnantes, à travers tout le pays. A la résignation avait succédé un espoir un peu fou, qui avait gagné toutes les couches de la société. Une force collective nouvelle se dégageait de ces masses qui refusaient les conditions de vie détestables que les économistes voulaient leur imposer. L’idée avait germé et essaimé que le peuple pouvait, devait se rendre de nouveau maître de son destin.

Chose nouvelle, les manifestations de solidarité s’étaient généralisées en Europe. Les Grecs étaient sur le point d’être rejetés hors de l’Europe, et partout les peuples se révoltaient contre le traitement infligé aux Grecs, qui selon toute vraisemblance les guetterait tôt ou tard. Le raz-de-marée humain était tel en Europe que l’effervescence gagna nombre d’intellectuels, et les politiques par contagion. Sous la pression, les dirigeants européens se réunirent et acceptèrent à reculons la revendication populaire d’une assemblée constituante à l’échelle de l’Europe. Celle-ci se réunit le 4 août à Bruxelles, avec des délégations issues de la société civile et représentants chaque gouvernement, chaque pays, chaque région de l’Union Européenne.

Les peuples d’Europe devaient enfin fusionner

L’ambiance était surréaliste, euphorique. Ces centaines de délégués, sous le regard attentif de leurs médias nationaux, avaient conscience de participer à un moment décisif et historique. Le pouvoir politique traditionnel vacillait, le carcan capitaliste se fissurait, beaucoup de certitudes semblaient s’évanouir et laisser place à un champ des possibles complètement inédit. Les premiers orateurs n’eurent pas de mots trop durs pour vilipender la haute finance, les multinationales, les experts en tout genre et le libéralisme destructeur, qui avaient bafoué la noble idée de communauté européenne. L’attitude exemplaire du peuple grec, désormais debout face à l’injustice libérale, était saluée à chaque prise de parole et soulevait des salves d’applaudissements.

Mais l’assemblée connut un nouvel élan lorsqu’un obscur délégué slovaque s’avança au pupitre. Celui-ci plaida avec enthousiasme en faveur d’une idée renouvelée et résolument tournée vers l’avenir de la citoyenneté européenne. Sociale, juste, démocratique, progressiste, l’Union européenne devait être émanation du peuple, et cesser d’être l’instrument d’oppression que le libéralisme avait façonné jusqu’alors. L’Assemblée se leva, exultant. La rupture avec le capitalisme devenait un impératif. Quant à la fraternité européenne, elle ne devait plus souffrir de frontières intérieures. Les peuples d’Europe devaient enfin fusionner pour que l’égalité entre tous les citoyens européens éclipse enfin les égoïsmes nationaux. La salle l’ovationna.

Quelques délégués à la botte des gouvernements en place et du libéralisme tentèrent bien de faire dérailler la folle idée naissante. Mais les broncas successives et l’hostilité générale les dissuadèrent de rester plus longtemps dans la salle. D’autres orateurs prolongèrent le génial projet du délégué slovaque, avec à chaque fois des tonnerres d’applaudissements. L’un d’entre-eux porta un vibrant hommage au peuple européen, pendant si longtemps divisé, et qui se retrouvait enfin véritablement réuni ce soir-là. Le principe sacré de l’Unité et de l’Indivisibilité du peuple européen ne tarda pas à être émis et adopté. Dans la foulée l’on vota à l’unanimité en faveur de l’abandon de toutes les anciennes souverainetés nationales. Les forces armées et de police des différents Etats étaient dans un même mouvement dissoutes au profit d’une unique force populaire européenne.

La communauté politique homogène exigeait des êtres semblables

Un autre délégué fit forte impression en reniant sa qualité d’Italien, et en appelant à la dissolution du pays qu’il convenait jusque là d’appeler Italie. D’autres surenchérirent en appelant toutes les vieilles nations, ces débris de l’histoire, à s’effacer devant le nouveau projet porteur d’espoir, de paix et de bonheur. Comme le formula un délégué portugais, l’esprit national et particulier qui prévalait auparavant devait désormais se fondre en esprit européen et universel. Certains orateurs, portés par l’événement, s’en prirent virulemment à ces Etats-nations, petits territoires morcelés et claquemurés, qui pendant longtemps ne surent que se faire la guerre. L’heure était à la formation d’une communauté humaine éclairée, d’un peuple neuf, uni et solidaire, débarrassée de ses oripeaux nationaux  et du patriotisme imbécile.

Les particularismes nationaux et locaux étant des entraves à la formation de l’Homme nouveau, il s’imposait à ces révolutionnaires de révoquer toute idée d’appartenance. Dorénavant, il n’y avait plus que des Européens, là où autrefois il y avait des Allemands, des Espagnols, des Français, des Belges, etc. L’impératif d’une communauté politique homogène exigeait des êtres semblables. On en conclut à la nécessité d’un enseignement rigoureusement uniforme aux quatre coins du continent. Des programmes strictement identiques pour tous, appliqués par un corps d’enseignants mobiles et interchangeables, le tout s’insérant dans un système éducatif hyper-hiérarchisé, devaient concrétiser cette promesse. L’enseignement de l’histoire avait un rôle essentiel dans ce cadre, en cherchant à susciter l’adhésion de la jeunesse à la nouvelle construction politique. Elle se devait de démontrer à tous l’antiquité de l’Union européenne, dont l’Empire romain était présenté comme la préfiguration. De cette façon, on prouvait qu’elle préexistait aux Etats-nations, apparus ultérieurement. La période de 1500 ans allant de la chute de l’Empire romain à la création de l’Union européenne fut rebaptisée « les Ages sombres ». La période contemporaine, celle de l’avènement de la Communauté européenne, fut qualifiée elle d’ « Ere du bonheur humain ».

C’est alors que se posa la question des langues. Les débats furent brefs, et rapidement apparut un consensus sur la nécessité d’une même et unique langue commune à toute l’Europe. L’injustice qui obligeait les travailleurs européens à changer de langue en même temps que de pays était désormais insupportable à tous. Une communauté humaine éclairée devait se comprendre parfaitement d’un bout à l’autre du continent, et parler le même langage. Le choix se porta assez logiquement sur l’anglais, qui avait l’avantage d’être déjà connu par la plupart des Européens. Les Français défendirent exagérément leur idiome. Lorsqu’ils comprirent leur défaite, les plus buttés d’entre eux quittèrent la salle, laissant un goût amer à une assemblée qui avait bien du mal à accepter ces manifestations rétrogrades de particularisme national. L’intransigeance française laissait cependant planer une menace quant à une scission à l’intérieur du peuple européen, désormais proclamé Un et indivisible. Pour prévenir tout fédéralisme des idiomes, on décida d’un commun accord de supprimer ces ferments de division que représentaient les langues vernaculaires. Plusieurs préconisations furent émises dans ce sens, comme l’anglicisation systématiques de tous les patronymes et toponymes (la ville de « Paris » fut ainsi renommé en « Hilton »), ainsi que la mise à l’écart complète des patois de l’espace public, de l’enseignement et de l’éducation (toute autre langue que l’anglais devait désormais être qualifiée de patois). La langue anglaise, quant à elle, promue au rang de langue de la liberté et du Progrès, allait bénéficier de tout un arsenal de mesures pour généraliser son utilisation. Avec un tel dispositif, l’assemblée avait bon espoir de voir le féodalisme linguistique complètement effacé au bout de deux générations.

Le centralisme s’imposa à tous comme une évidence

Il fallait aussi refonder le temps et l’espace du nouvel espace homogène à faire advenir. Un projet de nouveau calendrier fut lancé sur le champ. La discussion sur l’organisation territoriale prit une importance prépondérante. Tous s’accordaient à faire du passé table rase, et à dissoudre définitivement toutes les identités locales, régionales et nationales, qui constituaient autant de prisons étroites pour l’esprit. Immédiatement, une commission se proposa de plancher sur la question. On les vit revenir au bout de quinze minutes, brandissant des double-décimètres et des cartes de l’Union européenne quadrillées à la perfection. La foule des délégués laissa échapper un murmure d’approbation. Déjà les cartes circulaient dans les rangs. L’Europe avait été divisée en vingt-sept carrés d’égale surface et aux limites parfaitement rectilignes, les côtes maritimes venant harmonieusement équilibrer la perfection géométrique du tracé adopté. Le territoire qui s’appelait autrefois France se retrouvait maintenant scindé en quatre carrés différents, où figuraient également des bouts de Belgique et de Pays-Bas, de Luxembourg et d’Allemagne, de Suisse et d’Italie. Ils étaient nommés B5, B6, C5 et C6, la commission ayant judicieusement préféré un code alphanumérique plutôt que des dénominations toponymiques qui, inévitablement, auraient rappelé les anciennes langues et divisions territoriales. Ce quadrillage fut érigé en unique échelon administratif européen, en lieu et place de l’anarchique bigarrure des découpages et des échelons administratifs, des statuts et des prérogatives, qui prévalait jusque là.

C’est alors qu’un incident rompit l’unanimité ambiante. Une agitation parcourait de nouveau les rangs des délégués français. Des dissensions se faisaient jour entre eux, que les autres délégués à proximité ne parvenaient à désamorcer.  On donna la parole à l’un des Français. La refondation des limites territoriales constituait la pierre d’achoppement. Ces délégués rétifs exigeaient le respect des frontières de la France dans le futur tracé administratif, en hommage à l’histoire prestigieuse de l’Hexagone. Un large murmure de désapprobation parcourut la grande salle. Un orateur allemand les tança sans ménagement, stigmatisant leur refus du progrès et de la modernité, tout en les invitant à faire preuve d’audace en ce moment historique. Las, une partie des Français déserta la salle, laissant l’assemblée mal à l’aise quelques minutes.

On oublia bien vite la bouderie de ces quelques Français, campés sur leurs positions rétrogrades, et  qui de toute façon ne pesaient pas bien lourd. On aborda alors la question de l’organisation politique de cet espace nouveau. Le centralisme s’imposa à tous comme une évidence. On érigea fort logiquement Bruxelles en capitale, en décidant de lui attribuer à elle toute seule l’ensemble des administrations, des ministères, des institutions de gouvernement, ainsi que la banque centrale et les sièges de tous les nouveaux médias et services publics. Tout devait être décidé, piloté et contrôlé depuis Bruxelles. On s’accorda à y créer toutes les écoles prestigieuses nécessaires pour faire fonctionner l’ensemble. On décida par ailleurs d’accélérer la croissance de la métropole Bruxelloise, en y orientant la plupart des flux migratoires, afin qu’elle surpasse rapidement tous les autres pôles urbains du continent. Sur le plan culturel, fut votée une politique d’investissements massifs afin d’en faire la nouvelle vitrine culturelle et touristique d’une Europe à prétention universelle.

On était au petit matin et l’assemblée se préparait à clore cette nuit historique pour le Progrès humain. Chez beaucoup, la fatigue commençait à prendre le pas sur l’euphorie. C’est à ce moment-là qu’une nouvelle vint rapidement assombrir les visages. Une agence de presse annonçait l’entrée en résistance d’un mouvement nationaliste français…


Odeur de rance en République

Tous les analystes  à peu près lucides  s’accordent pour pointer du doigt la faillite structuelle de la France. Certes, une foule de zélotes continue encore de croire au modèle républicain et tente de nous convaincre de l’adouber dans 5 mois par le vote. Les incantations habituelles sur la liberté, l’égalité, les Droits de l’Homme, redoublent. Les symboles républicains sont brandis partout. La rhétorique nationaliste (“rétablir la grandeur de la France” !) continue de saturer les médias. Pourtant, que la droite ou la gauche soit aux affaires, le fond du problème reste le même. Les élites de ce pays sont trop accrochées depuis longue date à leurs multiples privilèges. Leurs intérêts particuliers les rendent incapables de concevoir et de mettre en oeuvre un fonctionnement véritablement démocratique de ce pays. Leur unique horizon idéologique est l’ Etat hyper-centralisé et hiérarchisé, sans contre-pouvoirs. La perpétuation d’une oligarchie parisienne qui contrôle tout, et une masse atomisée qui bêle et s’apprête à se rendre aux urnes, est une des conséquences logiques d’un système qui n’a eu de Démocratie que le vernis. En illustration, je reprends in extenso la critique lumineuse de Brice Couturier entendue lundi matin 9 janvier sur France Culture :

Pour Raymond Aron, l’une des caractéristiques des sociétés industrielles démocratiques, c’est que « les pouvoirs spirituel (ou intellectuel), politique et économique y sont séparés ». Il y a « dissociation des pouvoirs ». Et il ajoutait « les groupes qui exercent ces trois sortes de commandement sont en rivalité permanente. »

40 ans plus tard, dans La faute aux élites, ce que Jacques Julliard écrivait à propos des élites françaises contredit ce modèle : « Quiconque a vécu aux Etats-Unis sait qu’y coexistent des lieux de pouvoir autonomes, au sein de la politique, de la finance, des médias, de l’université. Certes, ces milieux ne s’ignorent pas entre eux. Mais ils ne fusionnent pas non plus. Il en va différemment en France. Le Tout-Paris, expression vieillie pour une réalité toujours vivante, désigne un firmament de la célébrité où la politique, la banque, l’aristocratie, la spiritualité, l’art, la littérature, les affaires, la chanson, les médias, le grand banditisme, l’université, le sport se rencontrent, échangent des impressions, des politesses, des idées, des adresses, des services, des femmes, des informations, des positions sociales. (…) Ainsi se constitue un réseau continu de connivences, reliant entre eux les sommets des pyramides contiguës de hiérarchies professionnelles distinctes. »

L’un de nos maux français était ainsi nommé avec humour et pertinence. En France, les élites (dirigeants politiques, haute administration, monde des affaires, journalistes et présentateurs vedettes), loin d’être « en état de rivalité permanente », fusionnent au sommet. C’est bien pourquoi elles éprouvent le besoin de se concentrer dans trois ou quatre arrondissements de Paris. La solidarité des intérêts de carrière dicte un besoin de proximité géographique.

Second problème : cette super-élite, polyvalente, est parvenue à bloquer son propre renouvellement. En s’auto-reproduisant par le mariage endogame et en manipulant au service de ses enfants les sommets de la méritocratie républicaine, elle s’est muée en nouvelle aristocratie. Or, comme l’avait fort bien relevé Tocqueville, le peuple français ne tolère les privilèges des aristocrates que dans la mesure où il accepte aussi la dure loi des loteries : c’est-à-dire s’il conserve un espoir, même minuscule, d’y faire accéder un jour ses enfants, ou de gagner lui-même le gros lot….

Troisième problème : l’argent. Vous écrivez, Sophie Coignard et Roman Guibert, que notre super-élite, autrefois attachée surtout à ses statuts et aux symboles de son pouvoir, comme toute aristocratie, n’hésite plus à déroger pour s’en aller… faire du fric dans le privé. C’est le monde de la finance, celui qui s’est tant « goinfré » avant la crise qui donne désormais le ton. Et l’élite s’aligne désormais sur la hiérarchie des valeurs qui régit ce monde-là : celui où qui n’a pas sa Rolex à cinquante ans a raté sa vie… comme disait Séguéla. Vous faites une véritable fixation sur les inspecteurs des finances, révélant au passage que la majorité d’entre eux ont préféré partir « pantoufler » dans le privé, où leur compétence, certes, mais aussi leur connaissance intime de la mécanique financière de l’Etat, sont achetés à prix d’or…

J’ai gardé pour la conclusion le 4° problème, parce que c’est le plus urgent. Cette super-élite qui tient tout, devait nécessairement être tenue responsable de tout… Il est donc parfaitement légitime que la société lui impute l’échec français. Or, cet échec – chômage de masse structurel, manque de compétitivité, faiblesse de de l’innovation, Etat en quasi-faillite, défiance mutuelle et réformes impossibles – est désormais patent.

De temps à autres, éclate un coup de semonce : c’est la présence incongrue de Le Pen au 2° tour de la présidentielle de 2002, c’est la victoire du non au référendum de 2005, quand toute l’élite votait oui. Qui sait par quel biais s’exprimera, cette année, l’exaspération croissante de la société envers une aristocratie, dont non seulement la direction s’est révélée erronée, mais dont les intérêts particuliers semblent bien avoir pris le pas sur l’intérêt général.


Etat d’exception au Pays Basque (fin 2009)

Je publie ici un texte, paru dans Klask Ha Distruj n3, que les récentes évolutions au Pays Basque ont quelque peu rendu caduc. En effet, ETA semble avoir définitivement rendu les armes, et le conflit politique s’en trouve complètement changé. Néanmoins, le texte ci-dessous n’en garde pas moins une certaine pertinence en détaillant la répression que les autorités espagnoles (et françaises dans une moindre mesure) ont fait pesé sur le mouvement indépendantiste basque ces dernières années. Qui veut comprendre quelque chose au conflit qui oppose le Pays Basque aux Etats espagnols et français doit avoir connaissance de ces faits.

Etat d’exception au Pays Basque (fin 2009)

 

Manifestation interdite sur le point d’être dispersée par les forces anti-émeutes.

Le « problème » basque, qui existe depuis plusieurs décennies, prend actuellement une tournure dramatique de part le durcissement et l’ampleur de la répression engagée conjointement par les pouvoirs espagnols et français pour museler le nationalisme basque, et plus précisément la gauche indépendantiste dite abertzale. Dans cette situation inique, véritable état d’exception que nous allons tâcher de décrire et d’expliquer, la lutte anti-terroriste contre ETA est le paravent qui permet de harceler et de criminaliser une large frange de la population basque, et ceci de part et d’autre de la Bidasoa (rivière marquant la frontière entre l’Espagne et la France). Alors qu’au Pays Basque nord (Iparralde en basque), dit « français », les interpellations en nombre de militants politiques ou culturels sont devenues monnaie courante depuis plusieurs mois, au Pays Basque sud (Hegoalde en basque), dit « espagnol », la gauche indépendantiste est en proie à une répression qui atteint un niveau de violence particulièrement inquiétant.

 

http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Mapa_provincias_Euskal_Herria.svg

Administrativement, la situation est radicalement différente entre le Pays Basque nord et le Pays Basque Sud. Côté français, le Pays Basque et les trois provinces historiques qui le composent (Labourd, Basse-Navarre et  Soule) n’a plus aucune existence administrative depuis la Révolution de 1789, ayant été englobés dans le département des Pyrénées-Atlantiques. Ceci explique que la revendication du département basque ait été importante ces dernières années. Côté espagnol, le Pays Basque sud est divisé en deux entités bénéficiant d’une autonomie très élargie : la Communauté Autonome d’Euskadi (avec les provinces de Bizkaia, Gipuzkoa et Araba) et la Communauté Forale de Navarre. Leurs pouvoirs sont très importants, en comparaison des régions françaises (enseignement à tous les degrés, police, autonomie de gestion financière…).

Le silence médiatique

Lorsque les médias s’intéressent au conflit basque, s’est invariablement pour relever les actions d’ETA (attentats, assassinats) ou les succès de la lutte anti-terroriste (arrestations de militants, découvertes de caches, etc.). Le terrorisme d’ETA et la couverture qu’en font les médias est le prisme déformant par lequel le monde extérieur appréhende la situation au Pays Basque. Le reste est passé sous silence : l’état d’exception inique, les multiples actes répressifs, les atteintes aux Droits de l’Homme. Tout ceci reste inconnu, que ce soit en France ou en Espagne, et a fortiori ailleurs dans le monde. C’est un fait, le conflit se joue quasiment à huis clos et le traitement médiatique qui en est fait est un obstacle à une réelle compréhension.

Comment expliquer ce filtrage médiatique ? Les principales raisons sont vraisemblablement à rechercher dans les caractéristiques intrinsèques des presses espagnole et française. La presse espagnole se caractérise ainsi par son nationalisme, plus ou moins fort et affiché, à l’image des principaux partis politiques (voir les socialistes du PSOE et les conservateurs du PP réalisant un front commun espagnoliste pour mettre la main en avril 2009 sur la communauté autonome basque). De même, la presse espagnole, qu’elle soit de gauche ou de droite, forme-t-elle bloc autour de la défense de l’intégrité territoriale de l’Espagne et n’a pas de mot trop dur pour qualifier les velléités d’indépendance des Basques et des Catalans. Le traitement du conflit par les média espagnols est donc d’emblée totalement partisan. Or ce sont ces médias qui sont ensuite repris par les médias français et étrangers. L’exemple de Courrier International, hebdomadaire français reprenant des articles de la presse internationale, est particulièrement significatif. Entre mai et juillet 2008, nous avons relevé, soit dans l’hebdomadaire, soit sur son site internet, 9 articles, tous traduits de la presse espagnole, avec au moins une occurrence du mot « basque » : 5 articles sur ETA, dont 2 expliquant son fonctionnement interne et 3 condamnant ses actions, 1 article témoignant de la peur des Guardias Civils au Pays Basque ( !?, on aura l’occasion plus bas de reparler de ces pauvres policiers appeurés), 2 articles évoquant la fierté d’être espagnol, et 1 article à propos d’un manifeste pour un retour à la primauté du castillan… On voit clairement les tendances qui se dégagent et que colporte Courrier international : légitimation de l’Espagne Una y Grande, valorisation de l’identité espagnole, conflit basque résumé aux 800 victimes d’ETA et à la lutte anti-terroriste. Ceci sans jamais évoquer le contexte de répression. Le fait que la presse française soit à l’unisson avec la presse espagnole n’est de toute façon pas si étonnant que cela, étant entendu que l’une comme l’autre sont formatées dans le même moule de l’Etat-nation Un et indivisible, et font preuve d’une même incompréhension, si ce n’est hostilité, devant l’idée de séparatisme.

Dans ces conditions, la médiatisation partisane du conflit ne permet aucune compréhension de la situation actuelle. Bien au contraire, la méconnaissance est la règle et devient le support d’idées reçues et de jugements à l’emporte-pièce, réduisant la complexité de ce conflit séparatiste à un « juste combat contre le terrorisme ». Le plus intolérable est que les médias, en passant sous silence l’état d’exception et la répression brutale qui s’abattent sur tous ceux qui revendiquent pour Euskal Herria le droit à prendre son destin en main, ferment les yeux devant les atteintes aux droits de l’homme commises par les autorités espagnoles et françaises sous prétexte de lutte anti-terroriste, et leur laisse ainsi tout le champ libre.

 

Un conflit ancien

Le conflit actuel plonge ses racines dans l’histoire de la construction des Etats espagnol et français, et dans la résistance des Basques à la dilution de leur spécificité dans ces vastes ensembles. Ainsi, à la perte des libertés provinciales basques que représentent la Révolution francaise et les guerres carlistes espagnoles du XIXe siècle, et aux tendances centralisatrices qui en découlent, répond l’émergence du nationalisme basque en Hegoalde à la fin du XIXe siècle. Son développement rapide permet au Pays Basque sud (sans la province de Nafarroa, la Navarre) d’obtenir une première autonomie en 1936, sous la toute fraîche République espagnole. La prise du pouvoir par les franquistes en 1939 marque une nette rupture, avec la répression militaire généralisée contre les Républicains, et l’oppression sévère contre l’identité basque qui va peu-à-peu se mettre en place. C’est dans ce contexte étouffant de dictature fasciste que la résistance s’organise dans la société basque, ETA (Euskadi Ta Askatasuna, Pays Basque Et Liberté) naît en 1959. Ses sources d’inspiration sont dès le départ l’anticolonialisme et les luttes de libérations nationales, avec une connotation marxiste qui va en s’affirmant. Après plusieurs années d’activisme non-violent, l’organisation passe à l’action armée dans le courant des années 1960, et connaît quelques coups d’éclats retentissants comme l’assassinat en 1973 de l’amiral Carrero Blanco, successeur désigné de Franco, événement qui contribue à précipiter la fin du franquisme.

L’avènement de la démocratie, loin de marquer une complète rupture avec la dictature franquiste, ne répond pas aux aspirations d’ETA et d’une large frange de la société basque. En effet, certains aspects rédhibitoires de la constitution espagnole de 1978, jugée comme capitaliste et anti-ouvrière, vont justifier la poursuite de la lutte armée : l’indivisibilité de la nation espagnole est affirmée, l’armée garde une fonction politique, le pouvoir de l’Eglise Catholique est maintenu, les femmes restent sous tutelle… Seuls 24% des suffrages de Bizkaia, Gipuzkoa et Araba (les trois provinces qui formeront la future Communauté Autonome d’Euskadi) y seront favorables fin 1978. L’autre problème majeur pour la gauche indépendantiste est le fait que le nouveau statut d’autonomie de 1979, pourtant très élargi, ne concerne pas la province de Nafarroa (Navarre), qui se retrouve ainsi en dehors de l’ensemble basque. La violence armée, loin de diminuer pendant la transition démocratique, va au contraire s’intensifier à la fin des années 1970 et dans les années 1980, pour s’inscrire durablement dans la vie politique basque et espagnole. ETA et l’Etat espagnol se rendent coup pour coup : attentats contre les forces de sécurité ou les intérêts économiques espagnols, militants basques torturés (parfois à mort) ou liquidés par des groupes para-policiers (BVE, GAL…).

Le cycle de violence terroriste et de répression étatique se poursuit mais perd en intensité dans les années 1990, avec des périodes de négociations comme en 1989 et surtout un premier cessez-le-feu d’ETA en 1998. L’espoir est grand à cette occasion de voir se terminer le conflit, étant donné que 23 organisations basques (représentant tout le spectre politique basque) signent cette année-là un accord, dit de Lizarra, pour qu’une solution politique soit trouvée, sur la base du droit du peuple basque à décider de son avenir. Ce texte démocratique est repoussé par les partis espagnolistes (PSOE et PP) qui ne peuvent accepter l’idée de droit à l’autodétermination. ETA met fin à son cessez-le-feu 14 mois plus tard, en décembre 1999, arguant du fait que le premier ministre Aznar, de droite, n’a accompli aucun geste significatif en faveur du rapprochement des prisonniers (qui est une revendication particulièrement importante pour la majorité des Basques, cf infra), mais a bien au contraire poursuivi une politique de répression policière, avec le calcul qu’un conflit de faible intensité ne peut que favoriser le nationalisme espagnol et le maintien au pouvoir de son gouvernement.

Dans les années 2000, ETA ne cesse de s’affaiblir sous les coups de boutoir des forces de sécurité françaises et espagnoles, mais garde toujours une certaine capacité de frappe. Le cessez-le-feu de 2006, sous l’ère du premier ministre socialiste Zapatero, ne fait pas long feu non plus, le climat de répression se poursuivant pendant les quelques mois de trèves (cf infra, Iñaki de Juana). L’attentat à l’aéroport de Madrid, en décembre 2006, qui fait deux victimes malgré les appels à évacuer, marque le retour des actions terroristes sanglantes, avec notamment plusieurs assassinats, et en parallèle une traque policière des etarra (militants d’ETA) toujours plus efficace.

L’indépendantisme basque aujourd’hui

La base sociale d’ETA au Pays Basque sud est la frange de la population de sensibilité abertzale, c’est-à-dire de gauche et indépendantiste. C’est contre elle, et les organisations qui en émanent, que s’acharnent actuellement les autorités espagnoles. Pendant longtemps, c’est le parti Batasuna qui a été le flambeau de ce courant nationaliste radical, avant que des interdictions répétées ne le contraigne à changer de nom plusieurs fois. Plusieurs autres partis nationalistes, modérés ceux-là, coexistent, allant du petit parti de gauche Aralar jusqu’au puissant parti de centre-droit PNV, au pouvoir de 1979 à février 2009 dans la Communauté Autonome basque. Ces partis condamnent ETA mais sont néanmoins favorables à un processus d’autodétermination. Leur poids électoral approche les 50% dans la Communauté Autonome d’Euskadi, et les 25% en Nafarroa. Les deux principaux partis espagnolistes, les socialistes du PSOE et les conservateurs du PP (et son avatar UPN en Nafarroa, au pouvoir actuellement), complètent le panorama politique au Pays Basque sud.

En résumé, deux lignes de fracture scindent la société basque, et donc son spectre politique : ceux qui condamnent ETA (les partis espagnolistes et les partis nationalistes basques modérés) et ceux qui ne le font pas (la gauche radicale abertzale) ; ceux qui sont favorables à l’autodétermination (l’ensemble des partis nationalistes basques) et ceux qui la refusent (les partis espagnolistes).

On évalue généralement le poids de l’abertzalisme favorable à ETA à 10% de l’électorat, ce qui représente environ 200 000 personnes en Hegoalde, sur 2 millions d’habitants. Ces chiffres globaux masquent cependant une réalité spatiale plus complexe. En effet, l’implantation géographique de l’indépendantisme, loin d’être équilibrée sur l’ensemble du territoire basque, est plutôt fonction de facteurs socio-linguistiques, et notamment de la pratique de la langue basque. Ainsi, dans toute la partie sud du Pays Basque, là où l’euskara n’est historiquement plus pratiqué et où le castillan domine, l’indépendantisme de gauche, et le nationalisme basque en général, est faible. Bien au contraire, ce sont les partis espagnolistes qui y dominent. En revanche, dans l’aire où la langue basque reste très vivante, c’est-à-dire le nord-est de la province de Bizkaia, l’ensemble de Gipuzkoa (où 50% de la population est bascophone[1]) et le nord de Nafarroa, les fiefs indépendantistes sont nombreux, et la plupart des villes et villages sont tenus par des nationalistes, modérés ou de la gauche indépendantiste. Dans certains villages minuscules de montagne par exemple, il est courant que les partis nationalistes, et parfois la gauche radicale, obtiennent 100% des voix aux élections. Dans cette zone, véritable cœur du Pays Basque, les partis espagnolistes sont largement minoritaires. Il apparaît ainsi de façon claire que le territoire bascophone est le bastion de l’indépendantisme radical, et du nationalisme basque en général. Une enquête sociolinguistique de 1996, menée par le gouvernement autonome basque, permet d’expliquer cette congruence en mettant en évidence la corrélation entre pratique de l’euskara et rejet de l’identité espagnole (et donc logiquement, l’adhésion au nationalisme basque) : 78% des bascophones se considèrent basques, mais pas espagnols[2].

 

http://campusvirtual.unex.es/cala/epistemowikia/index.php?title=Idioma_vasco

Répartition géographique de la pratique du basque (euskara) aujourd’hui.

Dans une société basque très politisée, l’indépendantisme de gauche est extrêmement dynamique, particulièrement dans ses bastions bascophones. Ainsi, les manifestations et les actions en faveur des prisonniers sont très régulières et réunissent des milliers, voire des dizaine de milliers de personnes. La jeunesse est massivement conscientisée et se mobilise activement pour l’indépendance du Pays Basque, tout en s’investissant dans de nombreuses luttes progressistes (féminisme, écologisme, internationalisme…). Chaque ville, chaque village a sa gaztea asanblada (assemblée de jeunes) qui organise concerts, repas, tournois de foot, projections-débats, manifestations, actions en faveur des prisonniers, etc., tout cela dans une omniprésence de slogans politiques affichés en basque. Très souvent, ils occupent un espace autogéré, le gaztetxe (maison des jeunes). Le Pays Basque en comptait 135 en 2005. Le syndicalisme spécifiquement nationaliste est lui aussi très vigoureux, avec des centrales comme ELA (106 000 affiliés en 2006) ou LAB, émanation de la gauche radicale, qui sont les plus importantes du Pays Basque, devant les grandes centrales espagnoles.

L’état d’exception actuel

La répression du mouvement abertzale, en parallèle à la lutte contre ETA, est une constante au Pays Basque depuis le franquisme. Néanmoins, l’ampleur et la violence de l’acharnement étatique actuel témoigne du franchissement d’un nouveau pallier. C’est indubitablement à un véritable déchaînement auquel on assiste, mené sous la bannière de l’anti-terrorisme, et qui met en jeu un imposant appareil politico-judiciaire : sur le terrain, police autonomique basque (Ertzaintza) et gendarmerie espagnole (Guardia Civil), et comme donneurs d’ordres les gouvernements espagnol (dirigé par le PSOE) et basque (dirigé pendant 30 ans par le PNV, et depuis février 2009 par le PSOE), ainsi que la justice espagnole (Audiencia Nacional, en charge des affaires terroristes, et  Tribunal Suprême Espagnol). Cet état d’exception, dont le but officiel est de saper le soutien à ETA, prend dans les faits l’allure d’une arme terrifiante pour museler et criminaliser la gauche radicale.

La question des prisonniers politiques basques, symptomatique du durcissement répressif, est devenue cruciale au fil de l’évolution du conflit. En témoignent les ruptures par ETA des cessez-le-feu de 1998 et 2006, motivés en grande partie par l’absence de mesures en faveur des prisonniers. A l’opposé du conflit nord-irlandais, résolu à la fin des années 1990 en grande partie grâce à de larges mesures d’amnistie, aucun signe allant dans ce sens n’est perceptible de la part des Etats espagnol et français. Bien au contraire, la hausse tend à s’accélérer (entre 2000 et mars 2008, le nombre de prisonniers est passé de 515 à 739). Deux explications à cela : d’un côté, l’incarcération massive de Basques ayant participé à diverses formes de militance politique et sociale (organisations politiques, médias, organisations de jeunesse, récupération de la langue basque, désobéissance civile, kale borroka (lutte de rue), etc.), de l’autre côté, l’allongement des peines en raison de l’acharnement judiciaire.

A cette inflation vertigineuse de militants basques incarcérés (on atteignait le chiffre de 764 début 2009), s’ajoute la question de la dispersion. En effet, dès 1987, le gouvernement espagnol, alors socialiste, met en place une politique systématique de dispersion des prisonniers basques. Cette politique, reprise à son tour par la France dans les années 1990, n’a jamais été remise en cause par quelque gouvernement que ce soit. L’objectif affiché est de briser la résistance des militants incarcérés en les maintenant loin de leurs proches, en les isolant les uns des autres et en les soumettant aux conditions de détention les plus dures possibles (transferts fréquents, « cellules d’isolement », annulation de parloirs, violence physique et psychologique, etc.). Le résultat est, début 2009, seulement 15 militants basques incarcérés au Pays Basque, 154 incarcérés dans 34 prisons françaises, et 595 incarcérés dans 53 prisons espagnoles[3]. Cela créé énormément de difficultés aux proches des prisonniers, très souvent obligés de parcourir des milliers de kilomètres par mois pour des visites très courtes, qui sont parfois sciemment annulées au dernier moment par les administrations pénitentiaires. Avec autant de familles concernées, presque autant que de prisonniers, les accidents de la route sont réguliers. Cette politique de dispersion, qui va à l’encontre des règlements et recommandations édictés par le Parlement Européen, le Conseil de l’Europe, l’ONU et même le Code de procédure pénale français, est perçue comme intolérable par la majeure partie de la société basque. La revendication du rapprochement des prisonniers (Euskal presoak Euskal Herrira), et sa non satisfaction par les pouvoirs espagnols et français, est le point le plus sensible du conflit actuellement, avant même la question de l’autodétermination.

 

Euskal presoak Euskal  Herrira, « Les prisonniers basques vers le Pays Basque », exprime la revendication largement partagée d’un rapprochement des détenus politiques basques et la fin de la politique de dispersion.

 

http://www.etxerat.info/fitxategia_ikusi.php?id_fitxategia=321

La carte de la dispersion en mars 2009. Le chiffre sur fond blanc est le nombre de prisonniers, le chiffre sur fond noir est l’éloignement en kilomètres avec le Pays Basque.

Traditionnellement, chaque ville, chaque village (parfois la municipalité elle-même), rend hommage à « ses prisonniers », c’est-à-dire ceux qui en sont originaires, par des manifestations, des défilés avec pancartes, des repas de soutien, des banderoles, des affiches, etc. L’arrivée au pouvoir du PSOE espagnoliste dans la Communauté autonome d’Euskadi début 2009 marque un nouveau tournant oppressif, puisque afficher un portrait de prisonnier devient dorénavant un délit, au prétexte d’être une apologie du terrorisme. Pendant tout l’été, cela a permis aux autorités de faire intervenir avec brutalité les forces de l’ordre dans les manifestations de soutien aux prisonniers, les enkarteladak (défilé des familles de prisonniers portant le portrait de leur proche incarcéré) et dans nombre de bars abertzale. Les fêtes de villes et de villages, nombreuses pendant l’été, et où le soutien aux prisonniers est très visible (jusque sur les gobelets en plastique on affiche leur effigie), ont donné lieu depuis l’été à plusieurs déferlements de violence policière, les forces anti-émeutes jouant de la matraque et du flash-ball pour retirer les portraits et interpeller des jeunes, comme à Ondarru, Lekeitio, Bilbo, Gernika, Santutxu, Tafalla, Villabona… En octobre, le rapporteur spécial de l’ONU sur la protection des droits humains, Martin Scheinin, s’est élevé contre l’interdiction faite d’afficher les portraits de prisonniers, en estimant qu’il y avait « une motivation plus humaine qu’une incitation à la violence ».

L’acharnement judiciaire est la nouvelle arme de la justice espagnole pour maintenir en prison les militants basques pendant des durées démesurées. Au refus d’accorder des libertés conditionnelles et des remises de peine, s’ajoute depuis 2006 ce que l’on appelle la doctrine « Parot » : les détentions de militants basques parvenus au terme d’une longue peine sont systématiquement prolongées de plusieurs années, afin d’atteindre à chaque fois les 30 ans maximums que permet le code pénal espagnol. Une trentaine de prisonniers sont déjà concernés par ces allongements de peine. Le cas Iñaki de Juana est caractéristique de cette dérive[4]. Cet ancien etarra devait purger sa peine de 17 ans de prison jusqu’en 2003. En 2004, alors qu’il n’est toujours pas libéré, le ministre espagnol de la justice annonce qu’on va lui trouver de nouvelles accusations pour le maintenir en prison. Iñaki de Juana signe alors deux articles dénonciateurs dans le quotidien indépendantiste Gara, qui vont servir de prétexte à la haute justice espagnole pour le réincarcérer : il est condamné en novembre 2006 (pendant le cessez-le-feu d’ETA) à 12 ans et 7 mois de prison pour « délit de menace ». S’ensuivent plus de 120 jours de grève de la faim illimitée, pendant lesquels il est nourri de force par intraveineuse, pour protester contre cette grave atteinte à la liberté d’expression. Finalement, la cour de cassation ne le condamnera qu’à « seulement » trois ans de détention.

La justice espagnole ne se contente pas de châtier les prisonniers basques. C’est toute la dynamique indépendantiste qu’elle cherche à criminaliser. Le macro-procès dit du 18/98 symbolise parfaitement cette offensive généralisée contre le mouvement abertzale, et ceci sous couvert de lutte anti-terroriste[5]. Ce procès, débuté à partir de février 2005, recouvre en fait un ensemble de procédures juridiques entamées en 1998 par le juge Baltasar Garzon, qui ont eu pour conséquence de multiples incarcérations et inculpations (près de 220 personnes), ainsi que les illégalisations de diverses organisations, médias, et entreprises, au motif que toute activité politique et sociale se définissant de la gauche abertzale relève de « complicité, collaboration ou appartenance à ETA ». Dans le détail, cela donne une dizaine d’entreprises mises sous administration judiciaire, une procédure contre AEK, le plus grand organisme pour l’enseignement de la langue basque, une interdiction du parti politique Batasuna (puis de Herri Batasuna, ANV, EHAK, D3M…), quatre organes de presse fermés (les quotidiens Egunkaria et Egin, tiré à 110 000 exemplaires, ainsi que le périodique Ardi Beltza et la radio Egin Irratia), l’interdiction des comités de soutien aux prisonniers Gestoras Pro-Amnistia et Askatasuna (dirigeants incarcérés et biens confisqués), l’illégalisation des organisations de jeunes Haika-Jarrai puis Segi (59 personnes inculpées, dont 22 en détention préventive pendant quatre années pour certains), etc. On mesure l’ampleur de ce déchaînement judiciaire quand, fin 2004, le procureur de l’Audencia Nacional requiert un total de 1102 années de prison pour 62 inculpés du dossier 18/98. Ces procédures se caractérisent par de graves manquements au fonctionnement normal de l’Etat de Droit : privation de garanties juridiques des personnes mises en accusation, cautions financières démesurées (des milliers d’euros à chaque fois), abus de la prison préventive, instrumentalisation politique de la législation. Amnesty International, avec d’autres organismes internationaux, n’a de cesse de dénoncer « l’interprétation excessivement large à laquelle se prête le concept de « collaboration » avec une entreprise terroriste au titre de l’article 576 du Code pénal espagnol », qui amène à « criminaliser les actions de personnes qui défendent, de manière pacifique, une plus grande autonomie du pays basque »[6]. Néanmoins, la justice espagnole persiste et signe en continuant de s’appuyer sur la théorie du juge Garzon, qui postule que « Todo es ETA » (« tout est ETA »), et qui permet d’accuser abusivement de terrorisme absolument n’importe qui, jusqu’au militant écologiste pratiquant la désobéissance civile[7]. Les organisations ayant un rapport de près ou loin avec la gauche abertzale se retrouvent ainsi soumises à un harcèlement policier justifié par les autorités judiciaires, leur croisade anti-terroriste les amenant à multiplier les procédures judiciaires (en 2009, la plateforme politique D3M, le parti Askatasuna, le site internet Gaztesarea, etc.), les interpellations, les saisies, les perquisitions, à quoi s’ajoutent les illégalisations régulières de manifestations et les charges violentes des policiers anti-émeutes pour disperser les rassemblements interdits.

 

Les forces anti-émeutes de la police autonomique basque chargent une manifestation.

Le village de Lizartza en Gipuzkoa est symptomatique de cette répression délirante. Lors des dernières élections municipales de 2007, la liste de la gauche abertzale ayant été mise hors course par la haute juridiction espagnole, une seule candidate se présente, sous l’étiquette PP, la droite espagnole. Et voilà comment, avec 27 suffrages seulement sur un total de 355 votes (dont 186 votes nuls pour la liste de l’ANV illégalisée, et 142 blancs pour protester contre cette situation), elle se retrouve maire d’un village qu’elle n’habite pas (elle n’habite même pas au Pays Basque), et dont elle ne parle pas la langue quotidienne, le basque. L’élection est tout de même entérinée, et chaque semaine, la nouvelle maire vient d’Espagne exercer ces fonctions pendant une journée… escortée par une vingtaine de policiers cagoulés qui quadrillent la petite place du village. Sa première mesure, hisser le drapeau espagnol au fronton de la mairie, est une véritable provocation pour la population locale. La suite sera du même accabit, en exigeant par exemple que les cérémonies officielles soient menées en espagnol plutôt qu’en basque et que les photos de prisonniers soient retirées. La haine locale envers cette sheriff[8] à la mode espagnole est particulièrement forte et s’exprime par des rassemblements de protestation réguliers. C’est à l’occasion d’une de ces manifestations qu’une habitante de 61 ans a été inculpée pour avoir brandi de façon menaçante un drapeau basque : elle a écopé récemment de 4 ans de prison ferme (oui, vous avez bien lu) et de 1800 € d’amende. Ce cas, aussi ubuesque soit-il, est tristement représentatif de la situation d’exception qui frappe le Pays Basque.

 

Place du village de Lizartza quadrillée par les forces de l’ordre, la mairie est au fond.

Avec la question du non-respect des droits des prisonniers, la torture de militants basques est l’autre point qui révulse la majeure partie de la société basque. En 40 ans de conflit, on compte plus de 7000 cas de torture. Rien que pour l’année 2008, ce sont 62 cas qui ont été recensés de militants basques torturés lors de leur passage dans les commissariats de la police nationale espagnole ou de la Guardia Civil. Ces forces de sécurité, réputées pour leur brutalité, sont bien loins d’avoir rompu avec les pratiques franquistes. Deux exemples parmi beaucoup d’autres de cette barbarie courante en Espagne : en 2001, Unai Romano, tuméfié au point d’être méconnaissable, est hospitalisé au cours d’une garde-à-vue incommunicado après un calvaire de plusieurs heures entre les mains de la Guardia Civil ; en janvier 2008, quelques heures après son interpellation, Igor Portu, torturé dans un commissariat de la Guardia Civil, est admis aux urgences de Donostia avec une côte cassée, un poumon perforé et de multiples hématomes. Le fait est que les tortionnaires bénéficient d’un climat d’impunité presque total, le régime de la garde-à-vue au secret (dit incommunicado), d’une durée de 5 à 13 jours pendant lesquels le gardé à vu ne peut avoir aucun contact avec l’extérieur, leur laisse toute lattitude pour démolir physiquement et psychologiquement leur victime. De leur côté, les juges espagnols ne mènent presque jamais d’enquête et sont particulièrement prompts à classer les plaintes sans suite, tout en considérant les aveux faits sous la torture comme des preuves. Ceci fait que la torture reste une pratique largement ancrée dans le système politico-judicière espagnol, et ce malgré les rappels à l’ordre répétés de nombreux organismes internationaux. Ainsi en 2008, le Comité des Droits Humains, organe des Nations unies, a observé « avec préoccupation que des cas de torture sont toujours dénoncés et que l’État espagnol, en tant que partie, ne semble pas avoir élaboré de stratégie globale, ni avoir adopté les mesures suffisantes pour garantir l’éradication définitive d’une telle pratique ». De même, le Rapporteur Spécial de l’ONU pour la Promotion des Droits de l’Homme dans la Lutte contre le Terrorisme, le Finlandais, Martin Scheinin, au sujet de la garde-à-vue incommunicado, énonce dans un rapport publié en février 2009 que « ce régime exceptionnel suppose non seulement que des traitements prohibés soient infligés aux gardés à vue, mais expose également l’Espagne à des plaintes pour tortures et, en conséquence, affaiblit la légitimité de ses mesures antiterroristes »[9].

 

En 2001, Unai Romano est hospitalisé après avoir été torturé plusieurs heures par la Guardia Civil. Ses parents ne le reconnaîtront que grâce à un grain de beauté. Le juge, lui, classera sans suite la plainte en acceptant la version policière selon laquelle Unai se serait provoqué lui-même ses lésions…

Témoignage de Gorka Lupiañez Mintegi, arrêté le 6 décembre 2007 par la Guardia Civil et maintenu 5 jours au secret.

«[…]  Je pense que nous sommes arrivés à Madrid vers 11h ou 12h. Ils m’ont fait descendre de la voiture, m’ont fait signer des documents (je ne me souviens pas desquels) et m’ont fait entrer dans une salle, l’enfer de cinq jours allait commencer. Les interrogatoires ont commencé tout de suite. J’étais tout nu avec un masque sur les yeux et ils ont commencé à me poser des questions : « D’où venais-tu ?, où allais-tu ?, avec qui avais-tu rendez-vous ?, où se trouvent les armes ?, où habites-tu ?… » Toutes ces questions au milieu des « fils de pute, on va te tuer, nous sommes la Garde Civile et nous allons te massacrer ; ta mère, quand elle a su qu’on t’avait arrêté a eu une attaque et elle est morte ; nous ne sommes ni la police basque ni la police espagnole, nous sommes la Garde Civile, nous allons te tuer ; tu as deux options pour sortir d’ici, ou sur une civière ou idiot parce qu’avec toutes les baffes qu’on va te donner tu resteras idiot pour la vie, sans neurones ; tu verras comme tu seras après tous ces jours entre nos mains, imbécile, tu préféreras alors être mort, imbécile !!!! ».

J’avais peur. À cause du froid, de la peur… j’ai passé ces jours-la à grelotter, à pleurer. J’avais mal, peur et le temps n’avançait pas. Il me semblait qu’il s’était arrêté. Ils me donnaient des coups aux testicules, ils m’obligeaient à faire des pompes, mettaient ma tête dans un sac en plastique, une fois puis une autre fois et en plus quelquefois ils remplissaient le sac avec de la fumée et de l’eau, alors la sensation d’asphyxie était indescriptible.

J’ai dû faire des milliers des pompes. Mes jambes ne me tenaient plus, je ne pouvais plus marcher, je tombais tout le temps. Pour m’emmener de la salle des interrogatoires à la salle où se trouvait le médecin, ils ont dû me prendre par les bras et me soulever. J’avais les muscles des jambes complètement durcis, je ne pouvais plus marcher. J’étais complètement cassé, détruit. Mais avant d’aller voir le médecin, on passait par les toilettes, ils me lavaient la figure, m’habillaient et c’est seulement après m’avoir rendu un peu plus présentable, qu’ils me faisaient entrer dans la salle du médecin.

Ils m’ont frappé un nombre infini de fois avec une matraque. Ils me donnaient des coups sur la tête, sur le dessus et sur les côtés. Les coups étaient si forts qu’ après chacun d’eux je voyais comme des lumières. Je n’avais jamais été tabassé de la sorte et j’étais terrifié, mort de peur. Je ne savais pas combien de temps ma tête pourrait endurer ce traitement. Je ne pourrais pas dire en quoi était faite la matraque, mais ils frappaient de toutes leurs forces. […]

J’avais très très peur. Ils continuaient à avoir une attitude très violente envers moi. C’est alors qu’ils m’ont fait subir la torture qu’ils appelaient « le tuyau d’arrosage » ou « Acuapark ». Personne ne peut comprendre ce qu’on ressent quand on te fait subir ce supplice. Ils m’ont fait sortir du matelas, m’ont jeté par terre dessus. Ils m’ont immobilisé les bras, les jambes et la tête, en même temps ils jetaient de l’eau sous pression sur la bouche et le nez (à la hauteur de la moustache). J’essayais de maintenir la bouche et le nez fermés, mais il arrive un moment où on doit ouvrir la bouche pour prendre de l’air, alors ils profitaient de ce moment-là pour me jeter des seaux d’eau sur la figure. J’ai avalé beaucoup d’eau, mais le pire de tout est la sensation d’étouffement, la sensation de la mort. Un exemple, quand on est en train de boire de l’eau et qu’on s’étrangle, on étouffe et on commence à tousser, donc imaginez qu’alors on vous mette encore plus d’eau dans la bouche. C’est terrible. Ces séances furent terribles. Chaque fois que j’y pense, j’ai encore peur. […]

J’ai eu encore une autre séance du supplice de la baignoire et quatre du tuyau d’arrosage. Je ne me souviens pas trop dans laquelle ils m’ont introduit un bâton dans l’anus. Ils m’ont obligé à me mettre à quatre pattes, en me disant qu’ils allaient me faire la même chose qu’à Agote. Ils l’ont dit et ils l’ont fait. Ils m’ont mis le bâton dans le cul. La première fois qu’ils ont essayé, ils ne sont pas arrivés à le mettre et à la fin ils m’ont mis sur le dos, avec les jambes vers le haut et à ce moment-là, ils me l’ont mis. J’ai ressenti de la douleur, de l’hystérie, de la panique. Ils étaient fous. Cet enfer n’allait jamais finir. Vraiment ces jours ont été très durs. J’ai pleuré. J’étais complètement brisé. Je voulais que tout cela finisse et si pour cela je devais accuser les personnes que j’aimais le plus, j’étais prêt à le faire. C’était un enfer sans fin. Je me souviens de mes cris de terreur. C’est bien que maintenant tout cela soit fini. J’étais physiquement brisé et psychologiquement pire encore. Je n’avais plus de voix. J’avais crié tellement fort que je suis resté sans voix. […]

Mais la nuit ne faisait que commencer. Ils ont continué comme toujours, avec le sac en plastique, les coups de matraque, les pompes, les tiraillements de cheveux… et alors ils m’ont fait quelque chose de nouveau. Ils m’ont attaché très fort les testicules et le pénis avec une corde et ils ont tiré dessus. Quand j’ai commencé à saigner du pénis, ils ont arrèté. La douleur était terrible, parce qu’en plus, ils me donnaient des coups sur les testicules. Ils m’ont fait « l’ange nerveux » et m’ont menacé des électrodes et du tuyau d’arrosage. Je n’en pouvais plus. J’ai passé toute la nuit comme ça. Ils m’ont laissé avec la bouche toute blessée à l’intérieur, la tête toute gonflée à cause des coups, les testicules violacés, tout me faisait mal, j’étais terrifié… abattu, brisé !!! […]»

http://cspb.unblog.fr/2007/12/21/gorka-lupianez-sauvagement-torture-par-la-guardia-civil-_-communique-daskatasuna/

La disparition de Jon Anza rentre selon toute vraisemblance dans cette longue liste de barbaries policières. Cet ancien prisonnier politique basque, gravement malade au moint d’être presque aveugle, est porté disparu depuis un trajet en train entre Bayonne et Toulouse en avril 2009. ETA a très vite accusé les forces policières de l’avoir supprimé en révélant que Jon était membre de son organisation, et qu’il avait rendez-vous avec d’autres etarras à Toulouse. En octobre, soit 6 mois plus tard, le quotidien indépendantiste Gara révèle de sources apparemment fiables ce que beaucoup pressentaient : Jon Anza aurait été intercepté pendant son trajet en train par des forces spéciales espagnoles, et aurait succombé pendant un violent interrogatoire avant d’être enterré quelque part sur le territoire français. Ce drame vient conclure une série d’enlèvements de citoyens basques par les forces policières espagnoles : Juan Mari Mujika, enlevé le 11 décembre 2008 et interrogé plusieurs heures dans une cabane abandonnée ; Lander Fernandez, enlevé en mai 2009, tabassé, et finalement incarcéré sur ordre de l’Audiencia Nacional après qu’il eut dénoncé publiquement sa séquestration ; Alain Berastegi, séquestré plusieurs heures en pleine montagne au mois de juillet ; plus récemment, c’est Dani Saralegi qui connaît le même sort. Ces faits témoignent de pratiques totalement illégales et rappellent les heures sombres de la guerre sale, quand les enlèvements et liquidations de militants basques étaient monnaie courante sous les gouvernements socialistes des années 1980.

L’Etat espagnol veut-il la paix ?

C’est la question que se posent, au vu des dernières opérations politico-judiciaires, la plupart des observateurs, et notamment les médiateurs internationaux du conflit (mais presque personne en France, ces événements n’intéressant pas les médias). Une petite chronologie des faits s’avère instructive :

septembre 2009, différentes annonces publiques font état d’une prochaine déclaration d’envergure de la part de la gauche abertzale afin de sortir du conflit.

13 octobre : sur ordre du juge Baltasar Garzon, 10 dirigeants majeurs de la gauche abertzale sont arrêtés (5 d’entre eux incarcérés) au motif d’être soupçonnés d’avoir « tenté de reconstruire la direction de Batasuna [illégalisé depuis 2003] sur instructions de l’ETA ». Ces arrestations interrogent d’autant plus que trois des interpellés ont été impliqués par le passé dans des négociations visant à résoudre le conflit, dont Arnaldo Otegi, interlocuteur du parti Batasuna lors des pourparlers de paix de 2006.

17 octobre : manifestation de 37 000 personnes à Donostia contre les arrestations, appelée par tous les partis et syndicats basques.

20 octobre : le quotidien indépendantiste Gara fait paraître des extraits du document de 36 pages sur lequel travaillaient les dirigeants interpellés. Proposition y est faite d’un nouveau cycle qui reposerait sur le droit à décider des citoyens basques et devrait évoluer «sans aucune violence ni ingérence extérieure».

24 novembre : plus de 650 agents sont mobilisés au Pays Basque sud pour arrêter 34 jeunes et perquisitionner 92 lieux (domiciles, gaztetxe, bars, locaux). Ils sont « soupçonnés d’assumer des responsabilités » au sein du mouvement de jeunesse Segi (légal sur le territoire français, mais interdit en Espagne), l’objectif annoncé par le ministre de l’Intérieur espagnol étant d’«empêcher les organisations appartenant à ETA de se reconstituer». En bref, aucun attentat ni crime ne leur est reproché, mais simplement une appartenance à un mouvement mis hors la loi. 31 d’entre eux sont incarcérés après avoir passés plusieurs jours incommunicado dans des commissariats de Madrid. Tous ont dénoncé des traitements humiliants, voire des tortures pratiquées par des policiers cagoulés : attouchements sexuels sur les femmes, simulacres de viol, coups violents sur la tête et dans les parties génitales, pistolet braqué contre la tempe, piqûres avec des seringues, asphyxie par sac plastique, etc.

28 novembre : 20 000 personnes défilent dans les rues de Bilbo pour protester contre les arrestations.

Ces deux rafles ordonnées par la justice anti-terroriste, elle-même téléguidée par le gouvernement espagnol, au moment même où la gauche abertzale s’engage dans un nouveau processus démocratique et commence à prendre publiquement ses distances par rapport à la lutte armée, interrogent sur la volonté de l’Etat espagnol de trouver une issue pacifique au conflit. En effet, la stratégie visiblement privilégiée, par ces vagues d’arrestations massives et spectaculaires, semble être celle de la provocation et de l’envenimement. Que cherchent les autorités espagnoles en jouant ainsi les pyromanes ? A instiller la terreur dans les milieux séparatistes ? A révulser les jeunes Basques et à les inviter à rejoindre la lutte armée ? On voudrait renforcer ETA qu’on ne s’y prendrait pas mieux. Curieuse stratégie, en apparence, quand on prétend obtenir la paix. Sauf que le gouvernement Zapatero, comme beaucoup d’autres avant lui, a particulièrement intérêt à saboter l’initiative politique actuelle de la gauche abertzale et à maintenir une situation de conflit caractérisé par un terrorisme de basse intensité. Rien de tel en effet que d’agiter dans les médias l’épouvantail de « l’ennemi intérieur » pour détourner l’attention de la situation socio-économique désastreuse du pays.

Sans porter de jugement sur la poursuite de l’action armée par ETA, il apparaît évident que l’aggravation du harcèlement de la gauche indépendantiste nourrit un très fort ressentiment, notamment dans la jeunesse basque, allant chez certains jusqu’à la volonté d’en découdre avec les forces de sécurité. Toutes les semaines ont lieu au Pays Basque des arrestations (490 en 2007, 390 en 2008), des perquisitions, des violences policières, etc., sans compter l’acharnement contre les prisonniers et les fréquents cas de torture, autant d’actions répressives et brutales qui contribuent à radicaliser la jeunesse basque, extrêmement conscientisée, et qui sont des munitions pour la lutte armée. Les militants d’ETA, sans perdre de légitimité aux yeux d’une frange importante de la société basque, se posent ainsi comme les défenseurs d’un peuple en état de légitime défense, lorsqu’ils s’attaquent aux forces répressives (Ertzaintza et Guardia Civil particulièrement). La sortie de conflit paraît dès lors s’éloigner chaque jour un peu plus, étant donné la stratégie incendiaire de l’Etat espagnol et l’impossibilité dans ces conditions de rompre le cycle attentats / répression étatique.

On le voit bien, ce qui ce passe au Pays Basque dans un silence médiatique assourdissant (quels médias en France ont abordé la dégradation inquiétante de la situation cette année ?), dépasse de loin une simple lutte contre une organisation terroriste. La répression que met en œuvre l’Etat espagnol, par son ampleur et sa violence, (l’Etat français reste un ton en dessous malgré un net durcissement ces derniers mois), est bien plutôt le révélateur d’un véritable terrorisme d’Etat, dont l’objectif est la neutralisation par tous les moyens du séparatisme basque. Dès lors, résumer la violence à « ETA et ses 824 victimes », comme le font systématiquement les médias, n’a pour autre effet que passer sous silence une autre violence, celle des Etats, et la mise au pas brutale d’un pan entier du peuple basque par les pouvoirs français et espagnols, tout en les dédouanant de leur multiples et gravissimes atteintes aux libertés et aux droits de l’Homme.

Texte de Santiago Alba Rico, écrivain et philosophe espagnol

Je ne condamne pas le roi Fahd, honoré par le roi d’Espagne, qui taille les têtes, coupe les mains et arrache les yeux, qui humilie les femmes et bâillonne les opposants, qui fait l’important en l’absence de presse, de parlement et de partis politiques, qui viole les Philippines et torture Indiens et Egyptiens, qui dépense le tiers du budget de l’Arabie Saoudite entre les 15.000 membres de sa famille et finance les mouvements les plus réactionnaires et violents de la planète.

Je ne condamne pas le général Dustum, allié des USA en Afghanistan, qui a asphyxié dans un container mille prisonniers talibans auxquels il avait promis la liberté et qui sont morts en léchant les parois métalliques de leur prison.

Je ne condamne pas la Turquie, membre de l’OTAN et candidat à l’UE, qui a rayé 3.200 villages kurdes de la surface de la terre dans les années 90, qui a laissé mourir de faim 87 prisonniers politiques et emprisonne celui qui ose transcrire en Kurde le nom de leurs villes.

Je ne condamne pas le sinistre Kissinger, l’assassin le plus ambitieux depuis Hitler, responsable de millions de morts en Indochine, au Timor, au Chili et dans tous les pays dont le nom lui est sorti de la bouche.

Je ne condamne pas Sharon, homme de paix, qui dynamite les maisons, déporte les civils, arrache les oliviers, vole l’eau, mitraille les enfants, pulvérise les femmes, torture les otages, brûle les archives, fait exploser les ambulances, rase des camps de réfugiés et caresse l’idée « d’extirper le cancer » de trois millions de Palestiniens pour renforcer la pureté de son état « juif ».

Je ne condamne pas le roi Gienendra du Népal, éduqué aux USA, qui le mois dernier a exécuté sans jugement 1.500 communistes.

Je ne condamne ni la Jordanie ni l’Egypte qui bastonnent et emprisonnent ceux qui manifestent contre l’occupation de la Palestine par Israël.

Je ne condamne pas le Patriot Act ni le programme TIPS, ni la disparition de détenus par le FBI, ni la violation de la Convention de Genève à Guantanamo, ni les tribunaux militaires, ni la « licence pour tuer » accordée à la CIA, ni la fouille de tous les touristes qui entrent aux USA en provenance d’un pays musulman.

Je ne condamne pas le coup d’Etat au Venezuela ni le gouvernement espagnol qui l’a appuyé, ni les journaux qui, ici et là, ont financé, légitimé et applaudi à la dissolution de toutes les institutions et la persécution armée des partisans de la Constitution.

Je ne condamne pas la compagnie états-unienne Union Carbide qui, le 2 décembre 1984, a assassiné 30.000 personnes dans la ville indienne de Bhopal.

Je ne condamne pas l’entreprise pétrolière états-unienne Exxon-Mobil accusée de séquestrer, de violer, de torturer et d’assassiner des dizaines de personnes qui vivaient dans un édifice propriété de la compagnie dans la province de Aceh (Indonésie).

Je ne condamne pas l’entreprise Vivendi qui a laissé sans eau tous les quartiers pauvres de La Paz, ni Monsanto qui a laissé sans semence les paysans de l’Inde et du Canada, ni Enron qui, après avoir plongé dans le noir une demi-douzaine de pays, a laissé 20.000 personnes sans le sou.

Je ne condamne pas les entreprises espagnoles (BBVA, Endesa, Telefonica, Repsol) qui ont vidé les caisses de l’Argentine, obligeant les Argentins à vendre leurs cheveux aux fabricants de perruques et à se disputer un cadavre de vache pour pouvoir manger.

Je ne condamne pas la maison Coca-Cola qui est entré en Europe dans l’ombre des tanks nazis et qui licencie, menace et assassine aujourd’hui des syndicalistes au Guatemala et en Colombie.

Je ne condamne pas les grands laboratoires pharmaceutiques qui se sont mis d’accord pour tuer 20 millions d’Africains malades du SIDA.

Je ne condamne pas l’ALCA qui viole et dépèce les ouvrières des « maquilladoras » de Ciudad-Juarez et fait naître des enfants sans cerveau à la frontière du Mexique avec les USA.

Je ne condamne pas le FMI ni l’OMC, providence de la famine, de la peste, de la guerre, de la corruption et de toute la cavalerie de l’Apocalypse.

Je ne condamne ni l’UE ni le gouvernement des Etats-Unis qui placent les accords commerciaux au-dessus des mesures pour la protection de l’environnement et qui ont décidé, sans referendum ni élections, l’extinction d’un quart des mammifères sur Terre.

Je ne condamne pas les tortures sur Unai Romano, jeune Basque qui, il y a un an, fut transformé en ballon tuméfié dans un commissariat espagnol, défiguré à un tel point que ses parents le reconnurent uniquement à un grain de beauté sur son visage.

Je ne condamne pas le Gouvernement espagnol qui, au mois d’avril, a mis en place l’état d’exception sans consulter le Parlement et a suspendu pendant trois jours les droits fondementaux de notre Constitution (liberté de mouvement et d’expression), avec la circonstance aggravante que les Basques ne pouvaient se rendre à Barcelone à l’occasion du dernier sommet de l’UE.

Je ne condamne pas la loi sur les Etrangers qui expulse les hommes faibles et affamés, les enferme dans des camps de rétention ou les prive du droit universel à l’assistance sanitaire et à l’éducation.

Je ne condamne pas le « coup de décret » qui précarise encore plus l’emploi, supprime les aides et laisse les travailleurs, comme des feuilles mortes, à la merci des caprices du vent des patrons.

Je ne condamne pas, cela va de soi, Dieu quand il pleut, quand la foudre tombe ou que le tonnerre gronde, ni quand la terre tremble ou qu’un volcan crache ses flammes.

Je suis un démocrate : peu m’importe la mort d’enfants qui ne sont pas espagnols ; peu m’importe la persécution, le silence sur l’assassinat de journalistes et d’avocats qui ne pensent pas comme moi ; peu m’importe l’esclavage de deux millions de personnes qui ne pourront jamais acheter un de mes livres ; peu m’importe les atteintes aux libertés du moment que c’est moi qui manie en toute liberté les ciseaux ; et peu m’importe la disparition d’une planète sur laquelle je me suis tant amusé.

Je suis un démocrate : je condamne l’ETA, ceux qui l’appuient ou qui gardent le silence, même s’ils sont muets de naissance ; et j’exige, en outre, qu’on prive de leurs droits de citoyens 150.000 Basques, qu’on les empêche de voter, de manifester et de se réunir, qu’on ferme leurs bars, leurs journaux, et même leurs halte-garderie ; qu’on les mette vite en prison, eux et tous leurs camarades (du jeune militant anti-globalisation à l’écrivain affirmé) et si ce n’est pas suffisant pour protéger la démocratie, qu’on demande l’intervention humanitaire de nos glorieuses forces armées, déjà auréolées de la reconquête de l’île Perejil. Je suis un démocrate car j’ai condamné l’ETA.

Je suis un démocrate et je ne condamne que l’ETA. Je fais donc partie de toutes les autres bandes armées, les plus sanguinaires, les plus cruelles, les organisations terroristes les plus destructrices de la planète.

Je suis un démocrate. Je suis un connard.

http://www.legrandsoir.info/article6180.html


[2] Gouvernement basque, 1996

[3] Euskal Herriko Amistiaren Aldeko Mugimendua, « Errepresioa Euskal Herrian 2008 », 2009,

http://www.askatu.org/fitxategia_ikusi.php?id=2658

[4] Marie-Josée Béliveau, « Pays Basque : terrorisme de l’ETA et terrorisme d’Etat », 2007, http://www.lecouac.org/spip.php?article144

[5] Ekaitza, « Dossier 18/98 et criminalisation de la gauche abertzale », 2005

http://ekaitza.free.fr/959/dossier1898.html

[6] Amnesty International, « Le procès dit 18/98 met en lumière les failles de la législation antiterroriste espagnole », 3 juin 2009, http://www.amnesty.org/fr/library/asset/EUR41/009/2009/fr/4a437609-d697-4cae-8d18-55c20a118ae4/eur410092009fra.html

[8] Time, « A Self-Styled “Sheriff” Aims to Tame the Basque Country », 16 août 2007, http://www.time.com/time/world/article/0,8599,1653558,00.html

[9] CSPB, « Torture : recommandations internationales, positions d’organisations internationales », avril 2009,

http://issuu.com/askapena/docs/info_euskal_herria_17__avril_09

Sources :

Jean-Louis Davant, Le « problème basque » en 20 questions, Elkar, 2006

http://ekaitza.free.fr

http://cspb.unblog.fr/

http://www.paysbasqueinfo.com/


Trouz an noz : Unan all

Trawalc’h a gozh kaozioù. Arru eo poent selaou un tamm sonerezh, mat mar plij ha gant skeudennoù da heul. Ar strollad Trouz an Noz an hini eo. Emichañs e rey plijadur deoc’h. Din-me ra bepred !


La société française en voie de dislocation

La société française est en voie de dislocation. C’est le sentiment que me donnent les derniers sondages annonçant Marine Le Pen en tête du premier tour de l’élection présidentielle 2012. Le phénomène est hallucinant, tout autant que l’élection de son père au 2ème tour de la même élection en 2002. Et pourtant on commence à s’habituer à cette présence incroyable de l’extrême-droite au sommet des sondages et des urnes. La grandeur de la France, et les autres foutaises du genre, en prennent un bon coup dans la gueule. Mais il n’y a que ça pour me réjouir, le contexte est trop désespérant par ailleurs. 

 

Fortuitement, ces sondages paraissaient au moment où je terminais la lecture de La Machine France, de Jean Ollivro (2007), et offraient une conclusion parfaite aux réflexions efficaces du géographe. Celui-ci brosse dans son essai le tableau d’une France fracturée, divisée, inégale, en complet décalage avec les beaux discours et les grands principes républicains. Le centralisme est pointé du doigt comme étant à l’origine du dysfonctionnement général de ce pays, qui, malgré un ingénierisme social forcené, se révèle incapable de résorber concrètement les fractures et les inégalités qui ne cessent de se renforcer dans la société française. Le lien social, lui, se délite complètement dans ce vaste hexagone, espace désormais indifférencié dans lequel la mobilité est survalorisée.

 

L’extrême-droite ne peut dès lors que prospérer dans cette communauté nationale apeurée, qui n’a de communauté que le nom, où la défiance s’installe partout entre classes, groupes, générations, voisins, individus…Le centralisme républicain continue de faire illusion. Ses adeptes restent nombreux et persuadés de leur supériorité idéologique. Mais leur dogme nous envoie droit dans le mur. Celui de l’extrême-droite pour commencer.


Patriotisme et patriotisme

C’est dans le bain de sang de la première guerre mondiale que la Nation française s’est définitivement forgée. Le sentiment national français, indéfectiblement lié à la haine du Boche, a alors pu profondément pénétrer les masses populaires, elles qui étaient restées jusqu’alors étrangères au patriotisme (guerrier) français, qu’il soit monarchique, républicain, impérial. Voici une petite réflexion très pertinente venant du Pays basque, à propos de cette idée de patriotisme, tant louée quand elle est au service du pouvoir, et tant honnie quand elle émane d’une communauté humaine minoritaire qui lutte contre son anéantissement. 

 

Avant d’aller plus loin dans notre analyse, arrêtons-nous aussi un peu sur la notion de “patriotisme”. Le patriotisme, chez un citoyen de nationalité française ou espagnole, est l’une des valeurs universelles qui cimente le plus sûrement, le plus légitimement, la société, et qui justifie la remise de décorations et autres distinctions, ainsi que des pratiques comme les funérailles nationales, les commémorations solennelles, etc… Le patriotisme, chez les Basques, à en croire les autorités judiciaires françaises et espagnoles, n’est pas autre chose qu’une perversion du sens moral qui fait d’eux de simples opposants à l’ordre établi, des ennemis de la liberté, en un mot des “terroristes” (alors que les tortionnaires qui sévissent dans les commissariats espagnols avec la bénédiction des pouvoirs publics sont, eux, de courageux bienfaiteurs de l’humanité).

Mikel Mouguiart, Ekaitza du 3 février 2011


La France : 27e sur 30 au classement de la Démocratie


Au classement de la démocratie, la France est 27e sur 30. C’est le résultat d’une enquête menée par des chercheurs suisses et allemands, et publiée ces jours-ci. Mais cette information, vous ne l’avez vraisemblablement pas entendue, les médias français ne l’ayant pas relayée…

 

Sera-t-on pour autant surpris d’un tel résultat ? Les Français qui, nombreux, persistent à voir dans leur pays le phare émancipateur et démocratique de l’Humanité, le seront certainement. Ils auront tôt fait cependant de se renfermer dans leurs certitudes et de critiquer l’enquête, la méthode utilisée, et l’origine des chercheurs qui les rend incapables de comprendre le génie français. Mais pour nous, ce classement est loin de nous surprendre. Nous qui devons combattre au quotidien cette vaste supercherie qu’est le Pays-des-Droits-de-l’Homme, qui éructe le terme de “démocratie” pour mieux la bafouer partout : dans les hautes sphères du pouvoir (le scandale du jet privé d’Alliot-Marie est le dernier d’une liste interminable de tricheries et de corruptions des élites françaises), dans les cités, dans les prisons, dans les colonies (oups, les départements et territoires d’Outre-mer)… sur tout le territoire républicain, étant entendu que le centralisme politique est une injure à la démocratie.

 

27e sur 30, voilà la vraie place de la République française au classement de la démocratie. Elle ne mérite pas mieux.

Extrait issu de la presse suisse : “Démocratie : la Suisse n’arrive que 14e sur 30, selon une étude” :

Malgré sa démocratie directe, la Suisse pèche par certaines faiblesses de ses structures politiques. Elle n’arrive que 14e d’un classement emmené par le Danemark. Créateurs de ce baromètre, des chercheurs zurichois et berlinois ont observé l’évolution de 30 démocraties entre 1995 et 2005.

Neuf critères articulés autour des principes de liberté, d’égalité et de contrôle ont servi à l’élaboration de ce baromètre. Parmi eux figurent la protection de la liberté individuelle, l’Etat de droit, la transparence, la participation démocratique, la concurrence politique, le contrôle des trois pouvoirs (exécutif, législatif, judiciaire) et la capacité d’appliquer les décisions démocratiques.

Au bout du compte, c’est le Danemark qui réalise le meilleur résultat (88,3 points), devant la Finlande (87,7) et la Belgique (85,1). Les Etats-Unis figurent en 10e position. L’Allemagne est 11e. La Grande-Bretagne (26e) et la France (27e) figurent en queue de peloton, alors que la Pologne, l’Afrique du Sud et le Costa Rica (dernier) ferment la marche.