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Nationalisme ?

Le 11 mai dernier, les Français élisaient leur nouveau monarque après une campagne électorale où il aura été fréquemment question de nationalisme avec l’accession de Le Pen au second tour. Une semaine plus tard, la Fête nationale de la langue bretonne se déroulait à Langoned, avec une assistance bien éloignée des 12 000 personnes comptabilisées en 1997. A l’occasion d’un débat organisé lors de la fête, il est rapporté que certaines personnalités appelèrent à une “fête internationale de la langue bretonne”.

 

La dimension “nationale” de la fête, assumée par les organisateurs, dérange. Rien de bien étonnant à cela. Le concept de nationalisme est connoté très négativement en France et est systématiquement associé à la droite extrême. Nombre de commentateurs ont, pendant la campagne, ciblé Marine Le Pen et “son nationalisme“. S’est ainsi imposée l’idée dans le paysage politico-médiatique français que le nationalisme est une doctrine d’extrême-droite. La progression des nationalistes corses, perçue en France avec une très grande suspicion, ne fait que conforter cette connotation négative dans l’imaginaire français.

 

Le mouvement breton, ce qu’il en reste du moins, tend à s’aligner sur ce sens commun et à renier sa dimension nationale. Au siècle dernier, le nationalisme breton, multiforme car de droite mais aussi de gauche, avait connu une montée en puissance certaine qui ont abouti à un certain nombre de réalisations. Il est aujourd’hui évanescent, tout comme l’Emsav politique, et ce n’est pas un hasard. Nous refoulons notre nationalisme et subissons défaite électorale sur défaite électorale au moment même où les Corses, les Basques, les Ecossais et les Catalans le brandissent en étendard victorieux. Destins croisés.

 

Cette conscience nationale qui s’amenuise en Bretagne n’est donc pas sans conséquence. Sur le plan politique évidemment, les Bretons continuent dans les urnes d’approuver un système hyper-centralisé qui lèse la Bretagne et profite d’abord à Paris. Sur le plan identitaire, on assiste à l’élargissement d’une identité bretonne de pacotille ne reposant plus que sur du vent (une part de plus en plus grande de la population n’a strictement aucune connaissance de l’histoire de Bretagne, de sa culture, particulièrement de sa langue). Sur le plan linguistique justement, la réappropriation de la langue bretonne piétine et le déficit de conscience nationale collective et individuelle chez les acteurs du renouveau de la langue y contribue. J’en veux pour preuve le manque d’entrain de la nouvelle génération de bretonnants à utiliser le breton au quotidien et à le transmettre en famille.

 

Le Pays basque (sud) est un bon étalon de comparaison. Il y existe une corrélation très forte entre connaissance du basque et conscience nationale. Contrairement aux zones non-bascophones, bien moins conscientisées, la zone bascophone centrale est un véritable bastion du nationalisme basque. L’attachement à la langue, à la culture et à l’identité basque y est très puissant et généralisé. Le comportement électoral s’en ressent avec une domination sans partage des partis nationalistes au niveau local, soit orienté à gauche (Sortu), soit à droite (EAJ-PNV).

 

Si la revendication bretonne, politique et culturelle, est aussi insignifiante aujourd’hui, c’est d’abord parce que le nationalisme breton a reflué. L’Emsav n’a pas réussi, contrairement aux Corses, à proposer au peuple breton une voie nationaliste convaincante. Ne serait-ce que dans les mots, plus beaucoup de militants (à gauche particulièrement) n’assument ouvertement le qualificatif de nationaliste (tout comme celui d’indépendantiste d’ailleurs, les deux sont liés). L’étiquette “régionaliste” se développe, et c’est tout sauf un hasard, montrant notre difficulté à assumer une revendication plus radicale. Le sens commun français est en passe de domestiquer la Bretagne révoltée.

 

Revenons maintenant sur cette conception française du nationalisme, considérée dans le langage courant comme apanage de l’extrême-droite. On a envie d’en rire, tellement la campagne présidentielle a montré à quel point le nationalisme est en réalité une doctrine partagée par l’ensemble du spectre politique français, à des degrés divers certes mais globalement de plus en plus décomplexée.

 

L’écrivain et militant basque Jean-Louis Davant vient justement de sortir un livre en basque à propos de ce nationalisme français non assumé par le système politico-médiatique actuel, mais aussi par le français moyen (Frantzia eta nazioa, éditions Maiatz, mai 2017). Ecoutons-le décrire en français cette véritable schizophrénie française :

Dans le livre en question j’essaie d’explorer les arcanes d’un nationalisme français classique, nationalisme profond, inconscient et tranquille : sources, bases, contenus, attributs, conséquences, retombées…

Au terme du voyage, j’ai découvert en statue du Commandeur la figure paradoxale du Français moyen qui me laisse perplexe.

Imbu de principes universalistes, il est souvent un hyper-nationaliste qui s’ignore. Son raisonnement baigne dans l’universel. Il est le prototype de l’homo universalis, le cartésien et l’adepte des Lumières, l’inventeur des Droits de l’homme et du citoyen, le précurseur en tout, donc le modèle à suivre.

Quand il nous dit de façon pathétique : “Mais enfin, soyez comme tout le monde”, cela signifie concrètement et naïvement “soyez comme moi”.

En 1789 il proclama LA Nation universelle, mais la communauté qu’il bâtit est forcément comme toute autre une nation particulière, avec un ancêtre ethnique, le Gaulois, et une langue régionale, celle de Paris, très minoritaire dans le royaume de France qui, bientôt, sera LA République, également universelle.

Il a du mal à saisir le patriotisme des autres peuples, surtout sans Etat : il l’appelle nationalisme.

 

Ce peuple est tellement imbu de lui-même qu’il en vient à nier l’évidence, comme celle de la montée du nationalisme français, chez son personnel politique mais aussi dans toutes les strates de la population. L’alternative est alors la suivante. Soit dénationaliser la question bretonne et la ramener à une simple problématique régionale, avec le risque de diluer la revendication bretonne pour de bon. Soit assumer un véritable nationalisme breton, de défense de notre identité face à ce nationalisme français inavoué, et en même temps ouvert aux évolutions actuelles du monde.

 

 

 

 


Noms de famille et noms de lieux…

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L’aliénation bretonne connait-elle une limite ? L’indifférence des Bretons face aux menaces pesant sur leur patrimoine culturel, linguistique et historique, est une curiosité bien déprimante dont on se passerait volontiers. Mais il y a peut-être encore plus navrant.

Nos toponymes et patronymes celtiques sont un pan important de notre culture, de notre identité. On sait que l’histoire les a bien malmené. La domination culturelle française a en effet marqué leur orthographe au fer rouge, quand elle n’a pas purement et simplement traduit en français. On ne trouvera donc aucune cohérence dans ce fatras, écrit selon les critères orthographiques du pouvoir dominant.

Un second problème affleure. La grande majorité de la population ne maîtrisant plus le breton, celle-ci ne sait plus dire ces noms de lieux et de famille en breton. Elle les prononce à la française. Conséquence somme toute logique. En revanche, il y a de quoi être effaré par cette francisation généralisée de nos toponymes et patronymes… par les bretonnants actuels ! Les bretonnants de naissance ne montrent pas forcément le bon exemple, certes. Mais là où ça devient préoccupant, c’est de voir les néo-bretonnants utiliser massivement ces formes francisées, ne sachant même comment prononcer leur propre nom de famille.

Du temps où la langue bretonne était d’usage social dans la société, le peuple perpétuait ces noms propres et en créait de nouveaux en bretonnisant les prénoms et noms de famille français. Le processus a été stoppé net. Désormais, on s’achemine dans quelques années vers un scénario où l’on ne trouvera plus qu’une fraction résiduelle des nouveaux bretonnants à même de prononcer correctement noms de lieux et de famille. Concrètement, cela signifiera la perte de ce patrimoine linguistique.

On aura beau avoir de beaux panneaux bilingues, personne ne saura comment le peuple dénommait ces villes et villages, ces cours d’eau et ces collines, ces bois et ces champs. Les noms de famille et les prénoms, n’en parlons même pas. La transmission de tous ces noms propres n’a pas eu lieu, et la formation des nouveaux bretonnants délaisse complètement ce champ. Cela ne relève plus que de la curiosité individuelle de l’apprenant, très aléatoire par définition.

Autre point qui ne cesse de surprendre, beaucoup de néo-bretonnants utilisent l’orthographe francisée, non seulement de leur nom et prénom, mais aussi de leur lieu-dit et de leur commune. En cela, ils ne font que suivre l’ usage administratif officiel. Mais qu’est-ce que cela témoigne ? A mon avis, une absence de réflexion ou une profonde soumission au cadre culturel français imposé. A contrario, bretonniser son nom et son adresse dans tous les actes de la vie, est un geste symboliquement fort qui relève d’une émancipation culturelle et identitaire.

Les Basques, qui n’ont pas de grande leçon à recevoir sur le plan de l’émancipation et de la désaliénation, sont engagés depuis quarante ans dans la voie d’une basquisation complète de leurs noms propres. Les noms de lieux l’ont été immédiatement à la sortie du franquisme, dans les années 1980. L’orthographe espagnole des noms de commune a ainsi été remplacée par l’orthographe en basque standard (“Mutriku” a remplacé “Motrico”, “Gernika” a remplacé “Guernica”, etc.). Là-bas, nulle question d’un bilinguisme ridicule et consternant comme en Basse-Bretagne (“Trégastel/Tregastell”, “Pédernec/Pederneg”, “Prat/Prad”, “Le Rest/Ar Rest”, etc.). Les noms de famille basques connaissent la même dynamique de basquisation avec la démarche “Guk Abizena, zuk ?”, promue par les autorités locales, afin de substituer à l’état civil l’orthographe basque à l’orthographe espagnole (un exemple, le nom “Goicoechea” devient “Goikoetxea”). Résultat, les patronymes basques écrits à l’espagnole sont en très large minorité.

La comparaison Bretagne / Pays Basque montre une fois de plus le fossé existant entre les deux peuples. Le breton, même un minimum conscientisé lorsqu’il fait le choix de se réapproprier la langue du pays, peine à s’affranchir du cadre de domination français. On mesure là pleinement le degré d’aliénation qui atteint la société bretonne.

En réponse, on ne peut qu’inviter à défendre activement ces noms propres essentiels à notre patrimoine et à notre identité :

  • apprendre à prononcer correctement noms, prénoms et toponymes, et les utiliser de manière systématique (même lorsqu’on parle français) ;
  • apprendre à bretonniser les noms français en breton ;
  • utiliser systématiquement à l’écrit la graphie bretonne pour écrire les adresses et les noms bretons de communes, mais aussi sa propre adresse et son identité ;
  • rédiger ses chèques en breton, etc.

Au Pays Basque, l’opinion publique est loin d’être enthousiaste sur la langue

“Nous voulons vivre en basque”

Je viens de lire un article du Journal du Pays Basque (JDPB) qui vient confirmer une des idées que j’émettais dans le texte précédent : derrière les déclarations de principe en faveur de la sauvegarde des langues dites “régionales” (tout le monde s’y adonne maintenant en France, même Mélenchon et Le Pen, c’est dire), l’opinion publique est globalement méfiante, voire hostile sur la question (en plus d’être totalement ignorante). La dernière enquête socio-linguistique menée au Pays Basque (Communauté Autonome d’Euskadi, Nafarroa, Pays Basque Nord dit “français”) l’illustre très bien.

La langue basque en Iparralde (Pays Basque nord) se porte plutôt bien, si l’on observe la situation avec nos lunettes bretonnes. Le pourcentage d’élèves en filière bilingue ou immersive laisse notamment rêveur (de mémoire, l’enseignement en basque concerne près de 40% des élèves du primaire). Maintenant, si l’on adopte le point de vue d’Hegoalde (Pays Basque sud), où la langue est officielle, hyper-valorisée et abondamment pratiquée dans la zone bascophone, il y a de quoi être inquiet au vu du nombre de locuteurs qui continue de décroître et d’une pratique quotidienne de la langue en grosse difficulté (tiens donc !).

Là où l’enquête est particulièrement intéressante, et c’est ce que met en exergue l’article du JDPB, ce sont les représentations très contrastées sur la langue en Iparralde. D’une part, la promotion du basque est aujourd’hui moins bien perçue qu’en 1996 (42,3% d’opinions favorables à l’époque contre 38% en 2011). D’autre part, le nombre d’opposants à la promotion du basque gonfle, pour passer de 12,7% en 1996 à 21,3%. Cela peut paraître assez surprenant, surtout vu de chez nous où le soutien à la promotion du breton ne cesse de grandir. Dans la Communauté Autonome et en Nafarroa (bien qu’elle soit dirigée historiquement pas des partis espagnolistes hostiles au basque), le mouvement est inverse et les populations sont toujours plus favorables aux mesures de promotion. 

Cette opposition qui grandit en Iparralde (cf l’opposition à la création d’une filière bilingue dans l’école publique de Uztaritze comme autre exemple) illustre parfaitement les réticences larvées dans l’opinion publique française quant à des mesures concrètes de sauvegarde d’une langue minoritaire. Il est vrai que la langue basque est sur ce territoire incontournable, le militantisme linguistique étant très dynamique et chaque commune ou presque a son école en basque. De plus, à quelques kilomètres de là en Hegoalde, elle bénéficie d’un statut supérieur à celui de l’espagnol (chose encore plus vraie depuis que la coalition nationaliste Bildu dirige la province de Gipuzkoa). On peut donc penser qu’un certain nombre de personnes, issues pour la plupart du reste de la France (en tant que lieu de villégiature très couru, la côte basque accueille une population très importante de l’extérieur), et confrontées sur leur lieu de vie à une présence très concrète de la langue basque, affiche une hostilité claire devant ce qui leur paraît être une dérive, voire une situation anormale. Pour beaucoup de gens, qui ne font que débiter ce que le pouvoir républicain énonce, une bonne “langue régionale”, “un bon patois”, c’est une langue que l’on n’entend ni ne voit, sauf pour faire rigoler l’assemblée de temps en temps.

 

En Bretagne, on est d’autant plus favorable à la promotion de la langue bretonne qu’elle est absente du quotidien : mis à part les panneaux, les émissions du dimanche à la télé qu’on a vues une fois dans sa vie, et les écoles Diwan dont on a entendues parler au journal télévisé de TF1, la langue bretonne est sans doute quelque chose de très abstrait pour la plupart des gens. Gageons que si ces personnes étaient confrontées dans leur quotidien à une langue bretonne vivante, largement pratiquée, le soutien actuel a la langue bretonne dégringolerait comme en Iparralde.


Patriotisme et patriotisme

C’est dans le bain de sang de la première guerre mondiale que la Nation française s’est définitivement forgée. Le sentiment national français, indéfectiblement lié à la haine du Boche, a alors pu profondément pénétrer les masses populaires, elles qui étaient restées jusqu’alors étrangères au patriotisme (guerrier) français, qu’il soit monarchique, républicain, impérial. Voici une petite réflexion très pertinente venant du Pays basque, à propos de cette idée de patriotisme, tant louée quand elle est au service du pouvoir, et tant honnie quand elle émane d’une communauté humaine minoritaire qui lutte contre son anéantissement. 

 

Avant d’aller plus loin dans notre analyse, arrêtons-nous aussi un peu sur la notion de “patriotisme”. Le patriotisme, chez un citoyen de nationalité française ou espagnole, est l’une des valeurs universelles qui cimente le plus sûrement, le plus légitimement, la société, et qui justifie la remise de décorations et autres distinctions, ainsi que des pratiques comme les funérailles nationales, les commémorations solennelles, etc… Le patriotisme, chez les Basques, à en croire les autorités judiciaires françaises et espagnoles, n’est pas autre chose qu’une perversion du sens moral qui fait d’eux de simples opposants à l’ordre établi, des ennemis de la liberté, en un mot des “terroristes” (alors que les tortionnaires qui sévissent dans les commissariats espagnols avec la bénédiction des pouvoirs publics sont, eux, de courageux bienfaiteurs de l’humanité).

Mikel Mouguiart, Ekaitza du 3 février 2011