Monthly Archives: Ebrel 2012

Oh, la belle abstention !

Plus que quelques jours et l’on connaîtra les deux candidats qui s’affronteront au deuxième tour de l’élection présidentielle française. J’ai beau chercher, je ne vois pas la moindre raison pour me déplacer dimanche prochain, ni même dans quinze jours. Oh, le mauvais citoyen ! Je vais expliquer le plus succinctement possible ma position concernant cette élection qui est un des temps fort de la « démocratie à la française », et que pourtant j’ai beaucoup de mal à percevoir autrement qu’en spectacle de clowns.

 

Il faut d’emblée préciser que c’est la dernière élection où la participation est (relativement) importante, le peuple ayant bien saisis que les autres élections, locales, régionales ou européennes, n’ont guère d’incidence  dans un pays aussi centralisé. A contrario, la concentration des pouvoirs dans les mains du chef de l’Etat est telle que ce scrutin présidentiel revêt une importance considérable. Effectivement, le candidat choisi et son futur gouvernement décideront de tout ou presque pendant cinq années, et présideront depuis Paris aux destinées de 65 millions d’individus. Cela sans contre-pouvoirs réels. C’est la première chose qui me dépasse. Que l’on abdique totalement sa souveraineté individuelle, et que collectivement l’on concède toute prise sur son présent et son avenir proche. On assiste ainsi à une déresponsabilisation complète des individus à qui l’on enjoint de voter tous les cinq ans pour mieux les écarter de la chose publique entre temps. En lieu et place de l’autonomie d’action et de réflexion, la communauté de citoyens se laisse bercer et conduire par les autorités publiques et les médias, voire un orateur brillant comme c’est le cas de l’extrême-gauche avec Mélenchon. Ce dernier cas mis à part, il n’est pas étonnant que la résignation et l’apathie soient généralisées, étant entendu qu’on attend tout d’un Etat qui prétend tout pouvoir résoudre. Lorsque l’on se rend compte de l’incongruité de la chose, la chute est dure…

 

D’un point de vue anticapitaliste, il paraît évident que rien n’est à attendre de ce scrutin. L’élan actuel autour du social-nationalisme de Mélenchon devant être considéré comme il se doit, c’est à dire un repoussoir, force est de constater que l’anticapitalisme internationaliste ne pèse presque plus rien aujourd’hui (en dépit de la candidature rafraîchissante de Philippe Poutou). De même, l’écologie politique est en train de sombrer avec la défaite cinglante d’Eva Joly. Seuls ces deux candidats, pourtant, offrent une véritable réflexion sur l’organisation politique française tout en prônant une rupture  avec le système capitaliste. Ils pèsent d’après les sondages 3% à eux-deux…

 

C’est peut-être cela le plus effrayant, se dire qu’aujourd’hui 97% des gens adhèrent à la République jacobine et à son fonctionnement centralisé. Les questions de démocratie locale, de réorganisation du territoire, de droit à l’expérimentation, de sauvegarde des langues et cultures minoritaires, sont toutes occultées dans cette campagne où ce sont les états-majors des partis et les médias parisiens qui donnent le tempo. Si au moins ces problématiques apparaissaient et étaient débattues comme il se doit au moment des scrutins locaux ou régionaux. Mais non, là aussi ces questions sont phagocytées par les grands débats nationaux. En France, la politique ne s’envisage qu’au niveau national, et il ne peut exister de réels espaces politiques intermédiaires où seraient discutées de façon autonome les problématiques locales. Les élus locaux, imprégnés par ce fonctionnement, ne font d’ailleurs la plupart du temps que décliner localement ce qui se dit et se décide à Paris, sans jamais montrer une quelconque autonomie de réflexion et sans la moindre volonté d’exercer un véritable contre-pouvoir local. L’élection présidentielle contribue évidemment à accentuer cette tendance, en éludant tout ce qui ne relève pas du « national » ( terme à peu près équivalent à « parisien »).


La participation aux élections est un acte fort de la citoyenneté française, par lequel l’on manifeste son appartenance à la communauté de citoyens, même ci celle-ci ne s’avère n’être qu’un agrégat d’individus, conditionnés pour répondre docilement aux injonctions des pouvoirs publics, manifester raisonnablement leur mécontentement de temps à autre, et surtout ne jamais songer à remettre en question le système politique en place. La portée symbolique du vote est donc essentielle pour le républicanisme français, qui, par ce biais, tente de cimenter une communauté nationale que l’absence de guerre ne permet plus de fédérer aussi facilement qu’avant. A travers les élections, on prête ainsi allégeance au système politique en place, à la République, à la Nation, ceci au-delà des querelles partisanes. Cette communion républicaine pose évidemment problème pour tous ceux que la République a écrasés. Les ouvriers au premier chef, qui sont toujours moins nombreux à se déplacer vers les bureaux de votes. Et puis évidemment toutes les minorités ethniques que la République a voulu effacer par décret. La France a tout fait, par l’humiliation et le mépris, puis dorénavant l’absence de reconnaissance, pour rayer de la carte les peuples qu’elle a conquis. Encore aujourd’hui, nous subissons ce rapport de domination qui nous prive collectivement de notre passé, de notre présent et de notre futur, qui nous empêche de vivre notre identité comme on l’entend, et de faire vivre notre culture autrement que folklorisée. Le déni de démocratie qui nous frappe est largement suffisant à mon sens pour ne pas participer à leur cirque électoral.

 

Nos droits culturels fondamentaux continueront d’être allègrement bafoués, la démocratie locale restera une chimère, l’oligarchie parisienne gagnée au capitalisme dictera plus que jamais ses desiderata à 65 millions de personnes… L’élection passera et rien ne changera. Restons chez nous, et laissons les citoyens, ces fidèles de l’église républicaine, aller communier dimanche tout en croyant encore à leur « démocratie ». Chaque point supplémentaire d’abstention est une gifle infligée à leur République de merde.

 


Les ravages de l’enseignement républicain dans les colonies

En cette période d’élection présidentielle, c’est à un festival de grandes proclamations auxquelles nous avons droit, sur la grandeur de la France, l’universalité de ses principes émancipateurs, et autres foutaises du genre. Régulièrement, j’ai l’occasion de brocarder les “généreux” principes républicains, qui s’avèrent n’être le plus souvent que  slogans bien creux, mais qui légitiment des situations caractérisées d’oppression politique et culturelle, dans les territoires conquis et soumis de l’Hexagone aussi bien que dans les colonies.

Sur l’Ile de la Réunion, à la situation sociale délétère (la pauvreté y est généralisée et 60% des jeunes de 18 à 25 ans y est au chômage…) s’ajoute l’oppression culturelle et la négation de la culture et identité réunionnaise. L’école de la République, tellement louée ces temps-ci par les Mélenchon et cie, reste inflexible et droite dans ses bottes pour substituer à la langue créole parlée dans les familles, la seule langue de progrès, le français. Voilà le constat, et le questionnement qui en découle, que dresse le syndicat Sud éducation Réunion dans son bulletin de mars/avril 2012 :

La Langue créole à l’école

Les conditions sociales rapidement décrites ci-dessus influent sur l’accès au droit à l’éducation. 20% d’illettrés, un pourcentage qui résiste au temps ! Cependant, il nous semble hasardeux d’expliquer l’échec scolaire à la Réunion par un déterminant social absolu. D’autres facteurs sont internes à l’école et notamment son refus de prendre en compte les spécificités de la culture réunionnaise. La langue créole est parlée dans la plupart des familles, parfois avec le français, or 18% des enfants ne parlant que créole à la maison seraient en difficulté dès le CP. Pourtant, on sait aujourd’hui que le bilinguisme, loin d’être un frein aux apprentissages, peut en être un accélérateur. On sait aussi l’importance de la reconnaissance de la langue maternelle dans la réussite scolaire. Or, le créole a un mauvais statut dans l’école réunionnaise et les classes bilingues restent marginales. L’école publique est-elle et doit-elle être réunionnaise ou française à la Réunion ? L’école doit-elle être pensée en créole ou le créole doit-il trouver sa place dans l’école ? Le débat reste ouvert dans notre syndicat comme dans la société. Ce dont nous sommes sûrEs à Sud éducation, c’est que l’accueil des enfants parlant une autre langue que le français nécessite des moyens spécifiques à grande échelle, que le statut du créole à l’école doit être revalorisé, que l’histoire du peuple doit être restituée au peuple : l’enseignement de l’Histoire de la Réunion n’est pas obligatoire !

A Mayotte, le tout récent département français, les zélotes de la langue française sont en mission. En entendant une enseignante dans l’émission “Mayotte : le choix de la France”, passée sur France Culture le 05 03 2011, on croit revivre, les brimades en moins, ce qu’ont enduré les petits bretonnants :

(journaliste) – Ici dans la classe, on ne parle pas mahorais ?

(enseignante) – Non.

(journaliste) – Les enfants ne peuvent pas parler mahorais ? C’est une manière pour vous d’imposer vraiment le français ?

(enseignante) – Oui… c’est la langue qu’on doit appliquer à l’école !

(journaliste) – Mais si vous voyez qu’ils ne comprennent pas forcément vous les autorisez à parler…

(enseignante) – Non ! Pour être un bon élève, il faut savoir dès le CP [le français]…”

Le mot de la fin est à l’inspectrice du vice-rectorat de Mayotte, toujours dans la même émission :

“L’année dernière, on pouvait avoir la moitié d’une classe de cour préparatoire qu’avait de grosse difficultés à démarrer. Forcément, s’ils ne parlent pas français. Il y a des problèmes de phonologie, de compréhension, de lexique…”

Bardées de certitudes et de bons sentiments, elle nous décrit les difficultés de langage des petits Mahorais, incapable qu’elle est de concevoir que ces enfants n’auraient probablement pas plus de “problèmes de phonologie, de compréhension, de lexique” que la moyenne, si on les instruisait et les évaluait dans leur propre langue ! Ce que les Bretons ont souffert avec les autres peuples écrasés de l’Hexagone au XXe siècle, les colonies françaises continuent de le vivre tous les jours au XXIe siècle… sidérant.


Cogordas Awards

Nevez ‘zo, en deizioù a-raok ar vanifestadeg, oa bet derc’het e Tolosa un nozvezh evit “meuliñ” kaozioù disprizusañ ar bloavezh 2011 e-keñver ar yezhoù bihan.  Fentus-kaer eo ar video, graet brav,  klevet a raer komzoù mantrus ha na oant ket bet klevet ganin… ha tout-se en okitaneg mar plij. Kalz a blijadur koura !

 

 

 


“Petit manifeste futuriste en faveur des langues minorisées”

 

Suite aux manifestations de samedi à travers la France, réussite sur le plan de la mobilisation, semi-échec sur le plan médiatique (mais c’était prévisible), je renvoie le lecteur vers le tout dernier article du socio-linguiste occitan Jean-Pierre Cavaillé, Petit manifeste futuriste en faveur des langues minorisées. En quelques paragraphes lumineux, l’auteur démontre la modernité et la justesse de notre combat pour la survie de nos langues, qu’elle soit occitane, bretonne, rrom ou polynésienne. Et il allume comme il se doit l’idéologie nationaliste française et son principe sacré de langue unique. Ce petit texte est un condensé des analyses brillantes que nous offre régulièrement sur son blog le socio-linguiste, où la défense de l’occitan et des langues minorisées côtoie la dénonciation sans concession de la politique française de domination culturelle et linguistique. C’est  en somme la référence théorique pour qui veut comprendre et lutter contre la politique d’éradication dont sont victimes nos langues et cultures.