Monthly Archives: Kerzu 2011

ETA / IRA

 

Evit ar bloaz ‘neus disklaeriet ETA eo achu gant ar stourm armet. Sell aze un tamm bideo d’enoriñ rezistanted Euskal Herria hag Eire. Ur bern dioute zo toullbac’het, teir zo ‘ba Roazhon c’hoazh. Ar son zo deus Berri Txarrak, “Denak ez du balio”.


“Les pouvoirs publics pas assez engagés pour lutter contre la solitude”

On a le droit aujourd’hui à une brève assez comique dans le Telegramme. Elle fait état d’un sondage réalisé par Mediaprism pour la société Saint-Vincent-de-Paul, qui annonce que “plus de huit Français sur dix (82%) estiment que les pouvoirs publics ne sont pas assez engagés pour lutter contre la solitude”. Apparemment, “ils sont même 61% à penser que la lutte contre la solitude doit faire partie du programme des candidats à l’élection présidentielle de 2012”. Ce genre de chiffres me laisse rêveur. Qu’est-ce que les pouvoirs publics ont à voir avec la solitude ? Il va falloir que l’on m’explique. Va-t-on payer des gens, créer un service public, pour rendre visite aux personnes seules, jouer aux cartes et faire la discussion avec elles ? Puisque l’homme moderne, ce nomade interconnecté, est devenu incapable de communiquer avec ses voisins les plus proches, on devrait désormais faire appel à des services sociaux pour rompre l’isolement de personnes de plus en plus nombreuses ? A moins qu’il ne s’agisse d’interner de force toutes les personnes seules, pour leur bien comme d’habitude ?

Les Français sont tellement imprégnés d’ingénieurisme social (cette idée que les pouvoirs publics, et l’Etat au premier chef, doivent organiser et réguler toutes les sphères de la société) qu’ils se déchargent sur les autorités de leur responsabilité sur ce plan de la sociabilité élémentaire. A quand des parents qui se plaindront de ce que l’Etat ne les aide pas assez à élever leurs enfants, ou des célibataires qui déploreront que les pouvoirs publics ne leur trouvent pas de copines ?


France, une politique carcérale indigne

La période de fêtes actuelle est des plus difficiles pour tous les individu(e)s ayant à subir une privation de liberté. Le minimum est de ne pas les oublier. Voici un court texte à propos de la situation carcérale en France, soumis à publication sur Agoravox :

France, une politique carcérale indigne

En cette fin d’année rythmée par les fêtes, la section française de l’Observatoire International des Prisons vient brutalement nous rappeler la déplorable réalité des prisons françaises, en publiant son  tout dernier rapport, Les conditions de détention en France. Dans la présentation qui en est faite sur internet, la prison française est qualifiée par l’OIP de « mode de sanction plus contre-productif que réparateur ». Et effectivement, des « dispositifs de sécurité s’inscrivant dans une logique de coercition plus que de prévention, aux possibilités d’accès aux soins somatiques et psychiatriques, en passant par le travail des détenus, les contacts avec leurs proches et leurs possibilités d’expression », tout concourt à faire du système carcéral français un « scandale persistant ».

Surpopulation, vétusté, insalubrité, maladies, exploitation, rapport de force, suicides. Les prisons françaises font partie, dans toutes les études récentes, des pires au sein de l’Union européenne. Les condamnations par les ONG et les instances internationales se succèdent à un rythme régulier. En 2005, le commissaire européen aux Droits de l’homme, Alvaro Gil-Roblès, faisait un constat accablant suite à son passage dans les prisons françaises et déclarait qu’ « être en prison c’est être privé de liberté, et non pas vivre dans un lieu indigne d’êtres humains». Récemment, c’est un tribunal administratif français qui condamnait l’Etat à indemniser des détenus des maisons d’arrêt de Nanterre, Bois d’Arcy, Rouen et Marseille, au titre de « conditions d’hygiène et de salubrité insuffisantes ».

Il y a aujourd’hui en France 65000 personnes incarcérées pour 57000 places. 37% des établissements pénitentiaires ont un taux d’occupation supérieur ou égal à 150%, dont 5 au-delà de 200%. 60% des détenus ne disposent pas d’une cellule individuelle. Plus d’une centaine de suicides sont reconnus chaque année par l’administration pénitentiaire (chiffre qui a quintuplé en 50 ans). Le taux de suicide, 5 à 6 fois plus élevé en prison qu’à l’extérieur, est le plus important de l’Europe des 15.

La réponse proposée par les gouvernements successifs revient comme une rengaine : construire de nouvelles prisons. Nicolas Sarkozy a ainsi annoncé le 13 septembre 2011 le chiffre ahurissant de 80000 places prévus pour 2017. Dans le même temps, les moyens manquent cruellement pour améliorer l’encadrement (psychologique notamment) et pour mettre en œuvre des mesures d’aménagements de peine (surveillance électronique, placement extérieur ou semi-liberté). Celles-ci sont pourtant les plus favorables à prévenir la récidive, toutes les études montrant qu’il est préférable d’exécuter ces peines en milieu ouvert qu’en milieu fermé (les détenus qui ont purgé leur peine en totalité sont 63% à récidiver dans les 5 ans, contre moins de 45% pour ceux condamnés à une peine alternative).

Quant aux maisons centrales, où sont incarcérés les détenus purgeant de très longues peines,elles sont transformées en mouroirs, en lieux de déchéance et de mise au ban de la société. A tel point qu’en 2006, 10 prisonniers de Clairvaux condamnés à perpétuité, ont lancé un appel pour « un rétablissement effectif de la peine de mort ». A la barbarie de la peine de mort s’est ainsi substituée celle de l’application de peines aux durées humainement insupportables. Les divers travaux effectués sur la question de la durée de la peine, et particulièrement en matière de sanction appliquée aux auteurs de ces crimes les plus graves, démontrent que passé un temps jugé humainement supportable, la sanction n’est que déchéance, destruction et perte de tous les repères.

Au lieu de remettre chaque personne humaine, y compris celles et ceux ayant commis des actes très graves, dans une logique d’appartenance au corps social, on continue de privilégier le seul emprisonnement, facteur de souffrance psychique et de violence. Or, d’après le Conseil de l’Europe,  « dans la plupart des cas, la privation de liberté est loin d’être le meilleur recours pour aider l’auteur d’une infraction à devenir un membre de la société respectueux de la loi ».

Une fois de plus donc, les postures et les grandes proclamations d’une France donneuse de leçon sur la démocratie et les Droits de l’homme, sonnent bien creux au vu d’une réalité, carcérale en l’occurrence, indigne d’un Etat dit démocratique.


Leur patrimoine n’est pas le nôtre

Les éditions An Alarc’h, basées à Lannuon, viennent de publier un ouvrage intitulé Le Vieux-Marché, Ar C’houerc’had, ses noms de lieux et leur histoire, qui étudie le patrimoine de la commune à travers la toponymie en langue bretonne. Le livre est passionnant pour quiconque a un attrait pour ces sujets. La préface, écrite par le maire d’ Ar C’houerc’had, a elle aussi son intérêt, par le décalage qu’elle offre avec le reste du livre. Car ici point de vibrante défense du patrimoine bâtit, naturel ou linguistique, comme on aurait été en droit de l’attendre. Le maire débute certes par un court laïus sans consistance sur les noms de lieux, qualifiés  de “patrimoine important” (ce n’est pourtant pas ce que laisse penser l’état lamentable des panneaux de la commune, et l’écriture fantaisiste de la plupart des toponymes). Puis il poursuit, mais à propos d’un autre patrimoine qu’il faudrait défendre, le patrimoine “républicain” cette fois:

“Nous vivons dans un perpétuel mouvement, les frontières changent, de nouveaux états  naissent.

Chez nous  la réforme territoriale n’aura pas que pour effet de créer de nouveaux territoires. Avec cette réforme c’est la disparition des cantons, puis programmée mais un peu plus tard celle des départements. Des 36682 communes (source INSEE 01/01/2010) combien en restera-t-il ?”

puis, quelques lignes plus tard :

“Je ne doute donc pas un seul instant de l’utilité d’une telle publication. Au moment où les communes sont en danger cet ouvrage sera très prisé […]”

On imagine bien que l’élu ne pense pas un seul instant à la France lorsqu’il parle de frontières changeantes et de nouveaux Etats. Le dogme nationaliste de l’Unité et de l’Indivisibilité de la République interdit d’appliquer à la France ce qui se passe ailleurs dans le monde. En revanche, ce qui le terrorise, c’est la (pseudo) menace qui pèse sur les communes, les cantons et les départements, soit les différents échelons administratifs historiques de la République. Comme tout bon jacobin, il brandit tel un totem le chiffre sacré des 36000 communes de la République. On se souvient que les associations républicaines et laïcardes qui avaient appelé à manifester en 1999 contre la signature de la charte européenne des langues minoritaires et pour la défense de l’Unité et de l’indivisibilité de la République, avaient elles aussi invoqué sur leurs affiches la défense des 36000 communes. Ce patrimoine républicain est donc en danger pour notre élu. Il faudra qu’il nous explique en quoi nous devrions nous alarmer qu’une commune soit rattachée à une autre, ou encore que les cantons et les départements disparaissent. Tout le monde s’en fout, mis à part nos élus évidemment qui tirent concrètement profit de ces échelons. En tout cas, le fait qu’il ait cru bon d’orienter sa préface vers la défense de ce patrimoine républicain, en délaissant le patrimoine bâtit, naturel et linguistique, est très instructif sur l’échelle de valeurs de l’élu républicain. Cela ne fait que confirmer ce que nous constatons tous les jours : l’élu est en général plus préoccupé par les questions de symbolique républicaine et d’identité nationale que de défense concrète de notre patrimoine local.

Il est à gager qu’au moment où les sous-préfectures et, qui sait, les préfectures elles-mêmes seront menacées (période très utopique, j’en conviens), nous verrons nos braves élus se lamenter à propos de la disparition progressive de ces symboles de la démocratie à la française.

Non, définitivement, leur patrimoine n’est pas le nôtre.


Inadaptats

Kaeraat buhez ‘ba hom broioù pinvik : micherioù deus tout an dud, teknolojioù luc’hus, marc’hadourezhoù e-leizh, otoioù brav pe bravoc’h, paotred ha merc’hed tan enne gant an arvest diskwelet dezhe war ar skrammoù. Brav an traoù evit ar reoù a c’hone, evit ar reoù ‘da brav gante, evit ar reoù a c’hall ‘non dibab. Ur bed marvailhus evit an nen disi ha ‘vel ‘vez gleet : koant, skiant dezhañ, desket, fent gantañ, diluz, dorniet mat…

 

Met ur bed kri evit tout ar re ‘deus si mat ebet e-touez ar reoù a ranker kaout evit ‘non diskalafiñ : na braventez, na skiant, na deskamant, na diluziaj, na mann ebet… An dud mac’hagnet hag o familhoù a oar ervat pegen gaouiadez ha kalet eo ar gevredigezh vodern. Abaoe o ganedigezh ‘vezont dispartiet deus ar reoù all. An darn vrasañ dionte a chom koachet diwar lagadoù truezus an dud, ha se a-hed o buhez. N’eo ket trawalc’h dezhe bezañ derc’het en o c’horfoù, kondaonet int da vevañ kichen ur gevredigezh ha na lesk plas ebet dezhe.

 

Ken garv all eo evit an dud un tammig diwezhat, ar reoù a raer paour-kaezh tud, soded pe dioded dionte. Malet ‘vezont ‘ba bedig-bed ar skol da gentañ, ha peurdrailhet ‘ba bed al labour goude. Pet gwezh warn-ugent ‘deus klevet e-pad o amzer-skol n’int ket mat da vann ? Pet gwezh zo bet lâret dezhe oa dam dezhe ne oant ket kat da deskiñ evel ar reoù all ? E-giz-se ‘vez graet tud mil-malet en o fennoù hag a gaser goude da labourat evel e kaser moc’h da lazhañ.

 

Dibabet ‘vez ar vugale. Dibabet ‘vez ar grennarded washoc’h c’hoazh. Ha derc’hel ‘raer da dibab an dud en oad. Kevaeserezh zo pep lec’h, ‘ba ‘r skol kement ha war marc’had al labour. An eujenism sosial n’emañ ket pell war-lerc’h, ha kondaonet eo ar reoù wannañ da goll ‘ba ‘r redadeg sod-se a ren buhez an dud. Wazh-a-se evit ar reoù n’hallont ket ober deus ar bed garv-se. Pilet ha torpilet ‘vefont muioc’h c’hoazh ‘ba ur gevredigezh ha na ra ket fout dionte.

 

Bernioù tud ‘zo maez ar jeu evel-se. Tud dizesk, kollet, lazhet gant ar boan-spered. Nebeut a fiañs zo enne, ken nebeut all a istim zo gante. Bec’h ‘vez warne sul-gouel-bemdez pa ‘welont mat n’int ket deus ar gevredigezh ma vevont enni. Ar skol oa ur binijenn. Al labour a veuz anezhe. Tamm-ha-tamm ‘vezont dilesket ha disosializet, o-hunan alies hep bezañ kat da ‘non diskalafiñ ac’hane. A-benn ma vezer arru ‘ba ar stad-se, ‘vezer ket pell o ‘non lazhañ goude.

 

Arru zo ur bed trist war an douar.

 

Ras le bol de cette société de merde qui produit de l’exclusion et de la souffrance à la pelle. Ici en particulier, j’évoque le sort des inadaptés de la vie moderne. Ceux qui ne sont pas assez beaux, intelligents, sportifs, débrouillards, manuels… tous les non-conformes aux critères de réussite de la vie moderne et qui viennent gonfler les rangs des exclus sociaux.


A propos de la transmission

Opération “Quêteurs de mémoires”, initiée par le Conseil général du Finistère

Suite à mon dernier texte, quelques éléments nouveaux me font prolonger et élargir la réflexion que j’avais entamée au sujet du chant en Bretagne.

C’est d’abord la lecture en cours du livre de Daniel Giraudon, sur les traditions orales relatives aux plantes, Du Chêne au roseau, qui offre une confirmation de ce que je pressentais, c’est-à-dire la prégnance des pratiques collectives de chant dans la société bretonne d’autrefois. Marsel Gwilhou, le chanteur connu de kan-ha-diskan, ne dit pas autre chose dans une bande-annonce de RKB que l’on peut entendre passer en boucle ces jours-ci : tout le monde chantait dans les campagnes. Il n’est donc pas exagéré de dire que la pratique du chant collectif était traditionnellement très présente chez les paysans et les marins, voire peut-être même chez les ouvriers (cf les Penn-sardin de Douarnenez par exemple), et qu’elle s’est totalement effondrée assez récemment. Ces exemples portent sur le chant en langue bretonne, mais je crois qu’on peut étendre le constat à toutes les cultures inclues dans la sphère occidentale.

C’est d’autre part les collectages que je fais en langue bretonne, et l’émerveillement qu’ils me procurent, qui me font m’interroger plus généralement sur la question de la transmission, familiale et transgénérationnelle. Je fréquente des bretonnants qui, vus avec les lunettes de celui qui a parfaitement intériorisé tous les préjugés négatifs ayant cours sur le monde rural, représentent l’archétype du plouc de province, du bouseux, du beauf, de l’arriéré voire de l’attardé puisqu’ils s’expriment malaisément en français pour certains (il va sans dire que je ne partage absolument pas une telle représentation stéréotypée). Or, ces culs-terreux et autres pécores, sont les derniers dépositaires d’une créativité linguistique populaire stupéfiante, qui s’exprime par la richesse des images, des jeux de langues, des ritournelles, des formulettes rimées, autant d’ornements inutiles pour le sens mais qui viennent fleurir pour le plaisir la moindre discussion en breton.

Mon texte précédent mettait ainsi en lumière un aspect du processus global de rupture de transmission à l’œuvre actuellement dans le monde occidental. Ce processus englobe donc le répertoire chanté, mais aussi le patrimoine oral en général, en voie d’appauvrissement certain, au sens où la diversité linguistique et dialectale ne cesse de se réduire au profit d’une poignée de langues d’envergures internationales, et où les traditions orales populaires sont laminées par les processus d’uniformisation à l’œuvre à l’échelle des Etats et du monde. J’ai notamment en tête cet exemple d’une connaissance, jeune maman obligée d’acheter un CD de berceuses parce qu’elle n’en connaissait pas une seule à chanter à son enfant. Cela paraîtra pour beaucoup anodin, mais j’y vois moi un signe assez navrant. Cette rupture de transmission dans le champ du patrimoine oral est évidemment flagrante pour nous, qui sommes témoins de l’effondrement du breton et du gallo. Dans notre cas, plus que des traditions orales, ce sont nos langues mêmes dont on nous a gentiment contraint, pour notre bien paraît-il, à cesser la transmission. 

Mais cette non-transmission est aussi globale de par le fait qu’elle me semble aller bien au-delà du seul champ linguistique, et toucher en vérité à une bonne partie de l’existence humaine. A bien y réfléchir, ce sont quantités de pratiques culturelles, de techniques, de savoir-faires, de connaissances accumulées par les générations antérieures (que l’on songe seulement à tout ce que le paysan lambda savait autrefois sur son métier, la nature et les plantes), qui sont en train de disparaître parce que l’orientation actuelle du monde conduit les anciens à dévaloriser leurs propres savoirs, et les jeunes à s’en gausser et s’en détourner. A l’inverse de cette évolution capitaliste occidentale, toutes les civilisations humaines traditionnelles, qui ont gardé une certaine décence, accordent une valeur importante à la transmission et une place privilégiée à leurs anciens. Ces derniers, dépositaires d’une connaissance accumulée toute leur vie sur l’existence humaine et son insertion dans la nature, y sont perçus comme des socles de ces communautés.

La civilisation capitaliste, elle, par le culte qu’elle voue au Progrès et la modernité, à la nouveauté et à la jeunesse (et son corolaire, le mépris pour tout ce qui relève du passé et de la tradition), et par le tourbillon technologique incessant dans lequel elle précipite les sociétés occidentales, ne peut par essence que discréditer les savoirs accumulés par les anciens, et les déprécier eux-mêmes puisqu’ils sont pour la plupart (mis à part quelques spécimens, que les médias se plaisent à exhiber, et qui tentent en vain de « s’y mettre », parce que qu’ « il faut bien vivre avec son temps »), dans l’incapacité de suivre l’évolution démente des conditions de vie modernes que nous impose la dérive scientiste et technologique de la société (le confort matériel ne masquant plus la précarisation de toutes les sphères de l’existence).

Inévitablement, les adeptes de la religion du Progrès rétorqueront que les individus d’autrefois, étaient enserrés dans toutes sortes de carcans, prisonniers d’habitudes et de traditions, maintenus à l’écart de la Raison émancipatrice. Je répondrais qu’un tel constat est à nuancer fortement. Si la somme des savoirs accumulées par nos anciens, ainsi qu’une bonne partie de leurs valeurs, est à disqualifier d’emblée parce qu’issue d’un monde où l’irrationalité, l’intolérance et la soumission étaient bien présents, cela revient à jeter le bébé avec l’eau du bain. Autrement dit, c’est renoncer à s’approprier le meilleur du passé pour jeter les bases du présent et du futur. Sans compter le fait que, à mon sens, la sociabilité traditionnelle offre un modèle supérieur à la « sociabilité » individualiste que nous offre le capitalisme aujourd’hui (qu’on peut qualifier, en forçant un peu le trait, de « guerre de tous contre tous »).

Comme bien d’autres choses précieuses, la transmission a été sacrifiée sur l’autel des nouveaux rapports humains forgés par le capitalisme. Quand une société comme la nôtre clive autant les générations, avec d’un côté les jeunes sympas, dynamiques et modernes, et de l’autre côté les vieux rétrogrades, séniles et cons, l’imaginaire occidental étant bien plus porté vers le jeunisme que l’inverse, on se doute que c’est la place même des aînés dans nos sociétés qui pose question. Et la triste réalité des EHPAD, comme de la canicule de 2003, ne fait que confirmer l’embarras avec lequel nos sociétés modernes  « gèrent ce problème ».

A la communauté traditionnelle, perçue seulement par son encadrement moral et spirituel rigide, et son lot de croyances et de superstitions, a été substituée une société ou plus rien ou presque n’est transmis. Sans même parler de patrimoine oral, la transmission de valeurs  de base (comme l’autorité parentale) et de savoir-faires élémentaires (comme élever un enfant) ne relèvent plus de l’évidence. Ainsi, la modernité tant vantée produit des situations assez hallucinantes au regard de l’histoire de l’humanité, telles ces jeunes mères désemparées face à la naissance de leur premier enfant (paniquées et obligées d’aller chercher dans les livres et chez les « spécialistes », médecins, sage-femmes, pédiatres et autres, ce qu’on a « omis » de leur transmettre), ou encore ces familles de plus en plus nombreuses, complètement dépassées, où l’autorité des parents est de plus en plus mise à mal (la télévision et les autres écrans s’étant substitués au traditionnel encadrement informel des jeunes par les adultes). Cela explique peut-être, en partie du moins, la prolifération actuelle des coachs et autres experts de la vie en tout genre, qui  monnayent leur service pour nous aider à vivre.

Alors, l’Humanité (juste les sociétés occidentales capitalistes en fait, mais comme elles ont prétention à s’auto-proclamer pointe la plus avancée du genre humain…), a-t-elle vraiment réalisé un fantastique pas en avant en méprisant la transmission ancestrale et universelle, fondement de toutes les sociétés humaines traditionnelles ?