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Noms de famille et noms de lieux…

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L’aliénation bretonne connait-elle une limite ? L’indifférence des Bretons face aux menaces pesant sur leur patrimoine culturel, linguistique et historique, est une curiosité bien déprimante dont on se passerait volontiers. Mais il y a peut-être encore plus navrant.

Nos toponymes et patronymes celtiques sont un pan important de notre culture, de notre identité. On sait que l’histoire les a bien malmené. La domination culturelle française a en effet marqué leur orthographe au fer rouge, quand elle n’a pas purement et simplement traduit en français. On ne trouvera donc aucune cohérence dans ce fatras, écrit selon les critères orthographiques du pouvoir dominant.

Un second problème affleure. La grande majorité de la population ne maîtrisant plus le breton, celle-ci ne sait plus dire ces noms de lieux et de famille en breton. Elle les prononce à la française. Conséquence somme toute logique. En revanche, il y a de quoi être effaré par cette francisation généralisée de nos toponymes et patronymes… par les bretonnants actuels ! Les bretonnants de naissance ne montrent pas forcément le bon exemple, certes. Mais là où ça devient préoccupant, c’est de voir les néo-bretonnants utiliser massivement ces formes francisées, ne sachant même comment prononcer leur propre nom de famille.

Du temps où la langue bretonne était d’usage social dans la société, le peuple perpétuait ces noms propres et en créait de nouveaux en bretonnisant les prénoms et noms de famille français. Le processus a été stoppé net. Désormais, on s’achemine dans quelques années vers un scénario où l’on ne trouvera plus qu’une fraction résiduelle des nouveaux bretonnants à même de prononcer correctement noms de lieux et de famille. Concrètement, cela signifiera la perte de ce patrimoine linguistique.

On aura beau avoir de beaux panneaux bilingues, personne ne saura comment le peuple dénommait ces villes et villages, ces cours d’eau et ces collines, ces bois et ces champs. Les noms de famille et les prénoms, n’en parlons même pas. La transmission de tous ces noms propres n’a pas eu lieu, et la formation des nouveaux bretonnants délaisse complètement ce champ. Cela ne relève plus que de la curiosité individuelle de l’apprenant, très aléatoire par définition.

Autre point qui ne cesse de surprendre, beaucoup de néo-bretonnants utilisent l’orthographe francisée, non seulement de leur nom et prénom, mais aussi de leur lieu-dit et de leur commune. En cela, ils ne font que suivre l’ usage administratif officiel. Mais qu’est-ce que cela témoigne ? A mon avis, une absence de réflexion ou une profonde soumission au cadre culturel français imposé. A contrario, bretonniser son nom et son adresse dans tous les actes de la vie, est un geste symboliquement fort qui relève d’une émancipation culturelle et identitaire.

Les Basques, qui n’ont pas de grande leçon à recevoir sur le plan de l’émancipation et de la désaliénation, sont engagés depuis quarante ans dans la voie d’une basquisation complète de leurs noms propres. Les noms de lieux l’ont été immédiatement à la sortie du franquisme, dans les années 1980. L’orthographe espagnole des noms de commune a ainsi été remplacée par l’orthographe en basque standard (“Mutriku” a remplacé “Motrico”, “Gernika” a remplacé “Guernica”, etc.). Là-bas, nulle question d’un bilinguisme ridicule et consternant comme en Basse-Bretagne (“Trégastel/Tregastell”, “Pédernec/Pederneg”, “Prat/Prad”, “Le Rest/Ar Rest”, etc.). Les noms de famille basques connaissent la même dynamique de basquisation avec la démarche “Guk Abizena, zuk ?”, promue par les autorités locales, afin de substituer à l’état civil l’orthographe basque à l’orthographe espagnole (un exemple, le nom “Goicoechea” devient “Goikoetxea”). Résultat, les patronymes basques écrits à l’espagnole sont en très large minorité.

La comparaison Bretagne / Pays Basque montre une fois de plus le fossé existant entre les deux peuples. Le breton, même un minimum conscientisé lorsqu’il fait le choix de se réapproprier la langue du pays, peine à s’affranchir du cadre de domination français. On mesure là pleinement le degré d’aliénation qui atteint la société bretonne.

En réponse, on ne peut qu’inviter à défendre activement ces noms propres essentiels à notre patrimoine et à notre identité :

  • apprendre à prononcer correctement noms, prénoms et toponymes, et les utiliser de manière systématique (même lorsqu’on parle français) ;
  • apprendre à bretonniser les noms français en breton ;
  • utiliser systématiquement à l’écrit la graphie bretonne pour écrire les adresses et les noms bretons de communes, mais aussi sa propre adresse et son identité ;
  • rédiger ses chèques en breton, etc.

Komz brezhoneg d’e vugel (3)

Spot

 

E miz eost er bloaz tremen ‘ma skrivet ar wezh diwezhañ diwar-benn brezhoneg ma mab. Interesant eo sevel ar gaoz war se seizh miz goude.

 

An dro diwezhañ e konten ‘nea e vrezhoneg souzet a-dreñv un tamm mat. Derc’het ‘ma penn bepred : brezhoneg ordin dioutañ. Ha komanset oan da c’houlenn bep tro gantañ respont en brezhoneg din. “Lâr se en brezhoneg ‘ta!”, pa ouien a-walc’h oa kat d’ober e frazenn en brezhoneg, pe “n’eo ket evel-se e vez lâret en brezhoneg” pa responte “oui” din. Ha feiz, ar paotr bihan ‘neus kemeret prim ar pleg da gomz din en brezhoneg. Ma ne veze ket deus an taol kentañ, e veze deus an eil da vihannañ. Gant-se, abaoe tri pe bevar miz eo en em lakeet da gomz brezhoneg diouzhin. Bremañ n’eus ket nemet brezhoneg etrezomp koulz lâret.

 

Ur cheñchamant all zo degouezhet nevez zo. Krog eo da gomz brezhoneg d’an dud all, ar pezh na rae ket a-raok tamm ebet. Bet eo ur pennad o kaozeal brezhoneg diouzhin, ha galleg da toud ar reoù all, na posubl e vefent brezhonegerien. Abaoe ur sizhun, n’on ket kaer petra zo tremenet en e benn, e kaoze brezhoneg deus ar vrezhonegerien. E vamm-ioù-gozh, kamaradoù e dad bet er gêr… kontañ kaozioù a ra en brezhoneg, ha derc’hen a ra gant ar yezh-se. Ha latennet-mat eo ! Stad zo ‘ba e dad, me lâr deoc’h.

 

Ha kavout a ran eo pinvidik e damm brezhoneg d’e oad (3 bloaz ha 2 viz). Arruout a ra d’implij ‘ba e frazennoù stagelloù evel “peogwir”, “goude” ha “pa”, en dibab a ra mat gant ar stumm “meus” “teus” “neus” “on” “out” “emañ”, dispartiañ a ra ervat “din” ha “dit”, “ganin” ha “ganit”, anavezout a ra ar raganvioù “me” “te” “hemañ” “hennezh” “nimp”… Dija eo kat da lâret bern traoù, ha barrek da derc’hen gant e gaoz ur pennad-brav hep tremen d’ar galleg. Fentus eo gwelet anezhañ o kemer poan o sevel e frazennoù, o klask geriennoù brezhonek…

 

Peseurt kentel zo da dennañ deus se ? D’ar skol vrezhoneg ‘h a abaoe miz gwengolo, ha ‘meus aon on bet rekouret ganti. Start eo lâret betek petore poent ‘vat. Dam da se moarvat eo bet kempouezet an div yezh, ha se ‘neus sikouret anezhañ da dispakañ yezh e dad. Er gêr bepred ‘meus derc’het warnañ, ha ‘meus ket lesket anezhañ da respont en galleg din. Bep tro ‘meus goulet e respontfe din en brezhoneg. Nemet ha vefe traoù dibosubl dezhañ da lâret er yezh-se.

 

Da heul ar gaoz oa bet amañ warlene, n’on ket hag-eñ e c’haller komz deus ur “redi” gant ar pezh a ran-me. N’on ket pell avat, da vên ne leskan ket ar galleg kemer plas en hon darempred. Met n’on ket e-barzh ar jeu-se da vat ivez. Feiz, ‘meus ket ar santimant “oblijañ” anezhañ. Chom a ran gant ar “goulenn”. Daoust hag-eñ zo afer d’ober plijadur d’e dad ? Marteze zo bet un tamm, met me a gav din zo estroc’h evit se bremañ. Ret eo lâret e tremenan amzer gantañ ha plijadur a gemeromp hon-daou : c’hoari evel-just, keginañ, ober livaj, bale, c’hoari margodennoù, hag un istor pe div a-raok menel kousket… Bevañ a-bep-sort traoù en brezhoneg kwida, dezhañ da vezañ (kazi) ken naturel hag ar galleg.

 

Bremañ eo lañset mat evit un toullad bloavezhioù. Sañset !

 

 


Le peuple breton et sa langue

monument Tregrom

Dans mon dernier post, j’évoquais ce bretonnant anonyme de Plouared, malheureusement disparu trop tôt. Ancien artisan, cet homme faisait partie du petit peuple de Basse-Bretagne. Sans être militant, il n’en était pas moins viscéralement attaché à sa langue. J’avais eu, il y a trois ans, un merveilleux aperçu de l’affection qu’il portait à la langue du pays. Ma visite de janvier à sa veuve me le confirmât. “Il aimait tellement parler breton !”. Et puis, gravés par lui à n’en pas douter, ces quelques mots dans la pierre : “ar huz-eol”. Juste quelques mots, mais qui disaient avec force son amour pour la langue bretonne.

Ces marques d’affection, j’en constate fréquemment dans ma commune. Je vais en faire une petite compilation ci-dessous. Les commentaires négatifs du genre “il serait plus utile d’apprendre le chinois !” ou “on est en France, on parle français !”, sont eux assez exceptionnels. Il est assez vain d’en tirer une règle générale, et de proclamer que le peuple breton serait indéfectiblement attaché à sa langue. On sait bien que ce n’est pas le cas. Si ça l’avait été, comme au Pays de Galles ou au Pays Basque, la langue se serait autrement mieux maintenue. Mais quand même. Toutes ces petites anecdotes tendent à montrer qu’une partie non négligeable du peuple breton conserve un attachement certain envers la langue, sans pour autant s’insérer dans le discours ou la pratique militante.

Certes, le peuple breton a abandonné sa langue pour lui substituer le français. L’a-t-il fait avec enthousiasme ? C’est ce qu’on serait tenté de croire à entendre certains spécialistes de la question. Voici ce qu’écrivait Fanch Broudig dans le magazine Bretons de décembre 2013 :

Comment expliquer que cette pratique [le symbole] a duré pourtant, en ce qui concerne la Bretagne, pendant plus de cent cinquante ans ?

Cela répondait à une demande sociale. Il y avait une demande évidente pour l’apprentissage du français. Au point que même les initiatives qui ont été prises parfois, notamment dans l’enseignement privé, d’élaborer une méthode d’apprentissage bilingue, pour apprendre le français par le breton, ont été abandonnées. Parce que les parents disaient : on envoie nos enfants à l’école, ce n’est pas pour apprendre le breton, c’est pour apprendre le français.

Sa réponse entre curieusement en résonance avec un exemple que prit Henri Guaino lors de sa violente diatribe du 23 janvier 2014 à l’assemblée nationale contre la ratification de la Charte européenne des langues régionales :

Je voudrais finir par une autre histoire, racontée par Aimé Césaire. Un jour, visitant une école, il rencontra une femme et il lui dit : « On va enseigner le créole à l’école. Êtes-vous contente ? » Et elle lui répondit : « Moi, contente ? Non. Parce que si j’envoie mon enfant à l’école, ce n’est pas pour lui apprendre le créole, mais le français. Le créole, c’est moi qui le lui enseigne, et chez moi ! »

Au passage, on fera remarquer que la mère dit transmettre activement le créole à la maison. Cela fait une différence importante avec le cas breton. Pour le reste, on retrouve le même processus diglossique à l’œuvre en Bretagne et en Martinique, qui conduit les familles à refuser que leur propre langue soit enseignée à l’école.

Que Guaino se contente de cette anecdote brute sans proposer d’éléments de compréhension n’est guère étonnant. Son propos n’est pas d’expliquer la situation diglossique qui produit ce genre de discours, mais simplement de démontrer que l’accès à la langue française est perçue comme une aspiration populaire. De façon similaire, Broudig parle lui de “demande sociale” pour expliquer la permanence sur 150 ans de la pratique du symbole, et même le refus par les familles de toute prise en compte du breton dans les écoles. J’avoue rester perplexe sur ce dernier point, dont je n’avais pas entendu parler jusqu’à présent. L’introduction du breton dans certaines écoles a-t-elle systématiquement été contestée par les familles ? Existait-il une unanimité chez les parents, ou alors les antis obtenaient-ils gain de cause car ayant plus de légitimité que les autres familles ? Ces dernières osaient-elles défendre quelque chose perçu comme allant à rebours de l’évolution de la société française ? Je serai curieux de lire une étude là-dessus.

Dans les deux cas en tout cas, le processus de domination linguistique  est complètement occulté. Au fond, ce n’est guère étonnant. Guaino comme Broudig ont au fond la même préoccupation, disculper la République de sa responsabilité dans l’extinction programmée de nos langues. Pour ce faire, on présente la substitution des langues régionales par le français comme le résultat d’une aspiration sociale, et on élude le cadre linguistique asphyxiant. On pose comme naturel et inéluctable, ce qui n’est en fait que le fruit d’un dispositif linguicide où les langues “régionales” sont considérées à tous les niveaux comme des obstacles à l’unité sacré de la Nation.

Quelle est la part de libre-arbitre et quelle est la part de contrainte dans un tel système diglossique ? Le peuple breton a abandonné sa langue, car la puissance publique lui a enjoint de le faire, insidieusement parfois, de manière coercitive souvent. Par son exclusion de l’espace public et sa dépréciation à tous les niveaux de la société française, on l’a contraint à agir de la sorte. On peut cependant affirmer qu’il l’a, le plus souvent, fait à contrecœur et que cela ne s’est certainement pas déroulé sans souffrances. Les marques d’attachement au breton que je vais à présent énumérer montrent que, dans un cadre linguistique plus ouvert et tolérant, les choses se seraient sans doute passées autrement.

Je précise que ces personnes n’ont pas reçu d’enseignement du breton, et ne sont pas militantes.

femme, environ 55 ans, assistante maternelle : La première fois que je l’ai rencontrée, elle m’avait dit trouver “bizarre” d’entendre un jeune parler breton, en plus de trouver ça “inutile”. Maintenant on se parle breton, et elle parle breton (et pas qu’un peu) à certains enfants qu’elle a en garde ainsi qu’à un de ses fils.

homme, 88 ans, agriculteur en retraite : Il lit chaque semaine l’article en breton de L’écho de l’Armor et de l’Argoat. Souvent il s’y reprend à deux ou trois fois pour relire les phrases, mais dans l’ensemble il parvient à comprendre.

homme, environ 55 ans, agriculteur : Ses deux enfants sont scolarisés à Diwan. Il est abonné à deux magazines en breton. Des poèmes en breton sont encadrés dans son salon. Pas de transmission familiale du breton pourtant.

homme, environ 65 ans, artisan à la retraite : Il possède un dictionnaire breton dans lequel il pioche allègrement les mots qui lui manquent. Il écoute régulièrement RKB. Une fois que je discutais avec lui, un voisin non bretonnant était arrivé. Il ne lui a parlé qu’en breton la première minute, l’autre souriait sans rien comprendre. Il a transmis le breton à son aîné, pas au plus jeune.

femme, environ 75 ans, employée à la retraite : Elle chante dans une chorale de chant en breton.

homme, 82 ans, employé communal à la retraite : Il écoute régulièrement les émissions en breton à RKB ou RBI.

homme, 16 ans : Il comprend assez bien le breton et demande régulièrement à son père bretonnant de lui nommer des choses en breton. Il n’a pas eu de breton à l’école.

homme, 83 ans, maçon à la retraite : Il connait des néologismes bretons assez surprenants. Il est connu pour continuer à parler breton quand la personne en face lui répond en français (alors qu’elle est bretonnante).

homme, 21 ans, manutentionnaire : Il a appris le breton au contact des anciens.

femme, environ 45 ans, secrétaire : Elle-même très bonne bretonnante, elle a mis son petit dernier en filière bilingue en suivant mon exemple. Pas de transmission familiale pour le moment.

homme, environ 45 ans, agriculteur : Lors d’une réunion récente de producteurs de lait à Karaez, il a fait un petit discours en breton.

Ceci sans compter toutes les fois où des personnes, m’entendant parler breton à mon fils, n’ont pu s’empêcher de m’interpeller pour me dire combien il trouvait bien de parler breton comme cela à mon enfant, qu’il fallait préserver la langue…


Daou vloaz war-lerc’h

Ar c'huzh heol

 

Tremen daou vloaz zo ‘ma kontet se amañ. Un tamm kaoz en brezhoneg ‘ma graet war vord an hent, en Plouared, gant un den ha n’anavezen ket. Feiz, ‘ma ket graet nemet lâret un dra bennak en brezhoneg dezhañ… ha hop, lañset oa ar paotr. Selaouet ‘ma anezhañ e-pad n’on ket pegeit. Tri c’hard eur marteze ? E vuhez ‘na kontet din, evel ur gontadenn marvailhus. Mann nemet plijadur. Diwar-bouez ar gaoz-se ‘neva kaset ac’hanon pell. Ha pegen kaer e vrezhoneg non de die !

 

Tremen a rae an amzer, met n’ankouaen ket anezhañ. Penaos ‘mije gallet ankouaat ur gaoz ken dreist-ordinal, gant un den ken dispar-se ? E-sell oan da dont en-dro, met pell on bet a-raok ober. Re bell. Soñj-mat ‘meva pelec’h oa an ti. Aet oan neuze, c’hoant bras  ganin adwelet an den ha toullañ kaoz gantañ. Met daou vloavezh n’eo ket mann ebet. Daoust hag-eñ e kavjen anezhañ, evel oa daou vloaz zo ?

 

Div wezh on bet. Ar wezh kentañ oa war-greiz an deiz. Met un dro c’houllo ‘ma graet. Den ebet er gêr. Ne oan ket sur diouzhin ‘vat. Serr oa ar volejoù, met ur pezh ki oa e-barzh o harzhal diouzhin. Hag ar jardin, feiz, hon ne oa ket derc’het evel e vez gleet. A-raok partiañ ‘ma taolet ur sell war ar vur diavez. Kizellet oa bet war ur maen “Ar huz-eol”. “Amañ, emezon-me, zo unan tomm e galon deus ar brezhoneg. En ti mat on !”. An eil gwezh avat oa bet digoret an nor din. Feiz, ar plac’h-se, oadet, ‘da ket graet nemet damdigoriñ he nor. Gwelet e veze warni ‘deva un tamm mat a disfiz. Ha me o komz dezhi en galleg deus e den diouzhtu, ha goulenn hag-eñ oa er gêr.

 

“Mais… le pauvre est décédé depuis le mois de mars ! “.

 

Un taol bazh war ma fenn. E-pad ul lajad oan chomet mantret. Ha neuze ‘ma lâret dezhi dre benaos oan degouezhet aze, ha ‘ma c’hoantaat ober un tamm kaoz gantañ. “Ah oui, il adorait parler breton ! emezi”. Ha hi o peurdigoriñ an nor hag o pediñ ac’hanon da dont e-barzh. Kenkent ‘ma komprenet en em leske da vont ar paour-kaezh plac’h. C’hwezh ar mallozh doue oa ‘ba ‘n ti. C’hwezh staot oa met ‘ma ket gouvezet petra oa ken oan o tont er-maez. Aze ‘ma gwelet oa un toullad kizhier en o c’hourvez war ar c’hanape. Niñselioù gwenn sklabezet war an douar, n’on ket da betra. Hag ur voutailhad Ricard boulc’het war an daol.

 

Komzet ‘mamp neuze, deus he den dreist-holl.  Ar paour-kaezh paotr ‘na ket ur yec’hed mat. Aet eo re abred bepred. ‘Meus ket gouvezet pet vloaz oa. Lâret a rafen en-dro da bemzek vloaz ha tri-ugent. Ne oa ket arru kozh kozh, na tost ! Ha karet a rae ar brezhoneg, stag oa deus e vro. “Qu’est-ce qu’il aurait aimé échanger en breton avec vous !”. Ha me !!! Ha me… Ne oa ket pell an dour da dont en em daoulagad. Goût a oaren ervat oan tremenet-libr e-kichen un den dispar, c’hwitet un darempred evel n’eus ket nemeur ‘ba ur vuhez.

 

Diwar-he-fenn ‘meus ket gouvezet nemet un dra : normanez eo. Ha sammet ar plac’h gant ar boan-galon, spontus. E-pad ul lajad ne oa ket bet evit ampich da c’harmat dirakon. Un druez oa. ‘Da ket lâret din, met komprenet e veze oa en em serret warni abaoe oa marvet he den. Volejoù an ti a vez serr war an deiz ‘te… Hep mont e-barzh e vez komprenet eo krignet an ti gant ar glac’har.  Kredet ‘ma goulenn ganti hag-eñ ‘deus familh. “Non !” emezi krenn-ha-krak. A-raok dislâret un tamm goude, “j’ai deux filles”. Div verc’h ? Ha koulskoude emañ hec’h-unan-penn aze, prest d’en em deurel d’ar boeson… Poan ‘ma o krediñ. Pet a dud a vez dilaosket evel-henn ?

 

Da diwezhañ ‘dea bet c’hoant da diskwel poltrejoù din. Gallet ‘meus gwelet ervat e benn dezhañ , un tamm mat gwelloc’h evit ar wezh kentañ daou vloaz ‘zo. Abaoe an deiz-se eo moullet e dremm c’hoarzhus ‘ba ma memor, ha moarvat  n’ankouain biken ar penn leun a valis-se.

 

Keuz ‘mo dit e-pad pell, paotr Plouared ha n’ouvezan ket da anv.

 


Komz brezhoneg d’e vugel (2)

Branskellerez

Ale ‘ta, ‘h an da lâret deoc’h penaos emañ kont ‘ba gêr gant brezhoneg an hini bihan !

Daou vloaz hanter, hennezh zo un oad diaes. N’eo ket aezet dont a-benn dioutañ bemdez, an itev-se ! Hag evit ar pezh a sell ar brezhoneg, feiz, n’a ket kaer war-raok. Pas evel ‘h ae n’eus ket keit-se zo bepred. Pell alese !

Ar paotr bihan ‘neus arru komprenet un toullad traoù. En em rentet eo kont (a soñj din, kar ne lâra ket evel-just) e oara tout an dud galleg en-dro dezhañ. Me da gomañs, da vên e klev ac’hanon kaozeal galleg gant bern tud. Memes tra gant e vamm-ioù-gozh, a gaoze dioutañ en brezhoneg, met galleg gant ar reoù na oaront ket. Evel-se ac’hanta ‘neus komprenet eo barrek neb a gomz brezhoneg da gaozeal galleg ivez. Ar c’hontrefed n’eo ket gwir tamm ebet han-se. Hag ar vugale all ‘ta ! D’e oad ‘h aer da heul ar reoù all, ha peogwir n’eus ket nemet galleg gante…

Dam da se a gav din ‘neus tapet e vrezhoneg un tamm mat a dilerc’h. En galleg an hini ‘h a war-raok. Sevel a ra e frazennoù en galleg, deskiñ a ra kazi tout e c’herioù nevez er yezh-se ivez. Ar gwashañ eo klevet anezhañ o lâret traoù din en galleg hag-eñ e vezent lâret en brezhoneg daou viz a-raok. Alies bremañ e klevan anezhañ o tislâret ac’hanon. Pa lâran dezhañ un anv brezhonek deus un dra hag a anavez en galleg dija e lâro din “non, c’est pas ça !”. Ha n’houla ket lâret war-ma-lerc’h an anv brezhonek… Fidedoue ‘vat, arru eo start ar jeu.

Un tamm dipitet on, met diskourajet n’on ket ‘vat. Soñjal a ra ganin n’eo ket nemet ul lajad, hag e tremeno dezhañ. Gwelet ‘vo !


Françoise Morvan et la théorie du complot ethniciste

Monde-comme-si-1

Trois commentaires récents sur ce blog m’ont sorti de ma torpeur estivale. Ils brillent pas leur nullité, et reprennent les arguties actuellement brandies par les nationaux-républicains français à propos de la langue bretonne. En quelques mots, la langue bretonne est une création récente, artificielle, qui détruirait en fait les cinq langues bretonnes authentiques. Ce sont les nationalistes de Breiz Atao qui ont eux-mêmes fossoyé la langue à cause de leur compromission pendant la guerre, l’Etat français n’ayant lui rien à voir avec le déclin du breton. Enfin, dernier point, la ratification de la Charte des langues minoritaires relèverait d’un complot ethnique et néo-libéral contre la République. Tout ceci tient dorénavant lieu d’argumentaire à des gens qui n’y connaissent strictement rien (on pense à Mélenchon ou Marine Le Pen pour les plus connus), mais qui sont de farouches opposants à toute avancée en faveur les langues minoritaires.

Françoise Morvan a, dans ces milieux, acquis le statut d’égérie. Mais pas seulement. Chez certains défenseurs du breton et des autres langues régionales, Françoise Morvan reçoit un certain écho. Il est dès lors urgent de tordre le cou à la théorie du Complot ethnique qu’elle promeut, et qui fait ni plus ni moins de chaque défenseur des langues régionales un nazi. Jean-Pierre Cavaillé s’y livre avec brio. La lecture de son article est indispensable.


Komz brezhoneg d’e vugel

Kubchoù

Herie ‘meus c’hoant da lakat ar gaoz war ar pezh a vevan bemdez er gêr, komz brezhoneg deus ma bugel. Hemañ ‘neus arru daou vloaz ha pevar miz, hag er c’houlz-mañ e klakenn kalz. Chaokat a ra e c’henou ‘vat ! Ha brezhoneg a deu er-maez, koulz ha galleg.

Ne gaozean ket nemet brezhoneg dioutañ, forzh pelec’h e vefemp. E vamm-ioù-gozh ‘h eomp da welet bep sizhun, ha brezhoneg a vez eno ivez. Ti e vagerez e klev brezhoneg alies a-walc’h ivez, pa ‘vez deut endro deus e labour den an ti. Ha gwezh-ha-gwezh-all e tigasan anezhañ ganin da di brezhonegerien gozh, da dremen un tamm goude-merenn… Evel-se ac’hanta, e vez brezhoneg endro dezhañ, gant meur a den ouzhpenn. Ha brezhoneg mat.

Kalz muioc’h a c’halleg a vez evel-just : ar vamm, ar familh, ar vagerez, ar vugale all… Dam da se ‘neus ar brezhoneg un tamm dilerc’h abaoe ar penn-kentañ. E frazennoù kentañ oa en galleg, en brezhoneg zo deut reoù un nebeud sizhunvezhioù war-lerc’h. N’eus ket pell oa krog da lâret “oui” (“non” ha “nann” zo arru un tamm ‘zo dija, n’on ket kaer petra zo kaoz 😉 ). E-pad ur sizhunvezh pe div ‘neva respontet “oui” din pa c’hoûlen traoù gantañ. Bep tro e lâren “ya” war-e-lerc’h, a-wezhioù div pe deir gwezh diouzhtu. Ha prim a-walc’h eo en em laket da respont “ya” din, d’an taol kentañ.

Me a soñj din zo ur reolenn da dennañ deus se. Bep tro e lâr traoù en galleg din, ec’h adlâran war-e-lerc’h ar pezh emañ o paouez lâret. Ha lakat a ran anezhañ da lâret bern gerioù, pe tammoù frazennoù, war-ma-lerc’h. Leskel a ran anezhañ da gomz en galleg, met digas a ran dezhañ kenkent ar brezhoneg… ha lakat a ran anezhañ da gomz brezhoneg. Ma dap ar pleg-se en bihan ‘mo gounezet ur stourm (goût a oaran vo un toullad reoù all, diaesoc’h sur a-walc’h, evit ma derc’hfe d’e vrezhoneg). Gwelet ‘vo !

Ar pezh a souezh ac’hanon bremañ eo gwelet anezhañ oc’h implij an eil yezh pe eben… deus an hini zo e-fas dezhañ. Ur wezh ‘neva lâret lodennoù ar penn (“bouche”, “nez”, “yeux”, hag all), en galleg, en ur diskwel anezhe war penn e vamm, ha graet memes tra da heul en brezhoneg en ur diskwel ma bisaj. Pa lâr d’he mamm “gros dodo”, e lâr din “pezh kousk”. Ha muioc’h a draoù evel-se bemdez. Krog eo da dremen deus an eil yezh d’eben, ha ne soñje ket din e teufe ken abred-se.

Sell aze, plijadurioù bihan ar pemdez gant ur bugel divyezhek !

Le développement du bilinguisme chez mon jeune enfant… une aventure quotidienne et une expérience fantastique  !


Francophonie, du colonialisme au chauvinisme linguistique

Cette semaine sur France Culture, on a côtoyé le pire comme le meilleur. Le meilleur, c’était lors du documentaire « Sur les docks » du lundi 8 octobre, intitulé « Je ne parle pas la langue de mon père ». L’écrivaine franco-algérienne Leïla Sebbar, en quelques mots admirables, décrivait la non-transmission par son père de sa langue maternelle, l’arabe. Ce dernier, instituteur dans  l’instruction publique française de l’Algérie coloniale, avait en effet fait le choix de refouler sa langue dans le cadre familial, et ainsi d’éduquer ses enfants en français :

 

« Dans sa langue, il aurait dit ce qu’il ne dit pas dans la langue étrangère. Il aurait parlé à ses enfants de ce qu’il était. Il aurait raconté ce qu’il n’a pas raconté. Non pas de sa vie à lui, un père ne parle pas de sa propre vie à ses enfants. Non, de sa vie il n’aurait pas parlé. Mais les histoires de la vieille ville marine, les légendes, les anecdotes, le petit homme rusé qui se moque des puissants et ça fait rire les faibles, les pauvres. Il aurait raconté les ancêtres, le quartier. Vérité et mensonge. Il aurait ri avec ses enfants dans sa langue, et ils auraient appris les mots de gorge, les sons roulés, répétés, articulés encore et encore. Maître d’école dans sa maison. Ensembles ils auraient déchiffré, récité, inscrit sur l’ardoise noire les lettres qu’ils ne savent pas tracer. »

 

A travers la non-transmission de la langue, c’est une culture et une histoire que l’on condamne à l’oubli. En d’autres termes, priver un peuple de sa langue conduit à lui fermer les portes de sa propre culture et de son histoire :

 

– (réalisatrice) « Qu’est-ce que votre père ne vous a pas transmis, sa langue oui, mais beaucoup plus, ce que vous dites dans ce livre… »

« Oui, je crois que c’est davantage. Et puis on sait qu’une langue, c’est une civilisation, sur des siècles, et des siècles. Et dire… priver quelqu’un d’une langue, quand il s’agit d’une langue paternelle ou maternelle, si on parle de langue maternelle, on dit la première langue. On dit la langue du corps, de la mère ou du père. Et donc l’absence de la langue c’est l’absence de tout l’arrière pays, de toute l’histoire depuis très très très longtemps. Et je crois que mon père, je ne suis pas sûre qu’il l’ait su, qu’il me privait de tout cela. »

 

Derrière l’apparence du choix raisonné et assumé, se dévoile l’aliénation coloniale sous sa facette linguistique :

 

« Je pense que ce n’était pas du tout prémédité. Je pense quand même que c’était une certaine volonté mais je crois qu’il a été très… très touché par la colonisation. Quand je dis touché, ça veut dire entamé… entamé. Et d’une certaine manière il n’a pas échappé aux effets de la colonisation en Algérie. »

 

Avec une sentence à laquelle je souscris personnellement, étant malheureusement trop conscient qu’une vie ne me permettra pas de récupérer complètement la langue dont on m’a privée :

 

« une langue que l’on n’apprend pas à la maison, on ne l’apprend jamais »

 

Puis France Culture nous a offert le pire, ce matin vendredi 12 octobre, dans l’émission « Les enjeux internationaux ». Le thème abordé était celui de la francophonie, le prochain sommet de cette organisation se préparant à Kinshasa. Le présentateur de l’émission, Thierry Garcin, est docteur d’État en science politique, habilité à diriger des recherches, et il a publié de nombreux articles et ouvrages, dont Les Grandes Questions Internationales depuis la chute du mur de Berlin (Economica, 2è ed, 2009). Excusez du peu. Et son invité était pour l’occasion Dominique Hoppe, président de l’assemblée des fonctionnaires francophones des organisations internationales (AFFOI).

 

 Le texte de présentation sur le site de l’émission donne le ton :

 

« Parler une langue étrangère, c’est se plier à son mode de penser. 

 

En quoi l’affaiblissement du français dans les organisations internationales réduit-il le pluralisme non seulement linguistique mais aussi intellectuel et politique. »

 

Le premier sourire est esquissé. Dénonciation du phénomène de domination d’une langue sur l’autre, défense du pluralisme linguistique… comme on dit en breton, ar pouthouarn a lâr d’ar chaodourenn eo du he revr, ou la marmite dit au chaudron que son cul est noir.

 

Dominique Hoppe dresse un tableau alarmant de la situation du français dans les organisations internationales. Il y constate une « dégradation des pratiques linguistiques ». L’ « anglais hégémonique » relègue le français comme langue « périphérique utilisée de temps à autre ». Présentateur et interviewé surenchérissent alors dans la défense du français, cette « grande langue de littérature » décrite comme supérieure à l’anglais dans le domaine du droit.

 

Les méfaits du monolinguisme anglais sont pointés du doigt (sans que le monolinguisme français ne soit lui jamais interrogé dans le cadre hexagonal) :

 

« En réduisant tout cela à une langue unique on amène les gens à penser de façon simpliste. Et la pensée unique n’est bonne pour personne. »

 

Tout chauvinisme linguistique est cependant balayé d’emblée par le haut fonctionnaire d’un revers de main. La défense du français dans les institutions internationales doit être considérée comme relevant d’un juste combat pour la diversité culturelle :

 

 « On n’essaye pas de défendre le français pour défendre le français. On essaye de défendre le français pour apporter une forme de diversité linguistique, culturelle et conceptuelle. »

 

La formule est bien évidemment creuse, et Thierry Garcin précise lui ce que l’on entend, dans les milieux intellectuels français, par diversité linguistique :

 

« le fait de défendre et de promouvoir le français doit s’accompagner de la défense et de la promotion aussi d’autres grandes langues ».

 

Tout est dit ou presque sur la façon dont on conçoit en France le pluralisme linguistique : ce dernier ne doit concerner que les « grandes langues ». Dans la question suivante, le présentateur s’en prend directement aux langues minoritaires, avec une incurie qui laisse pantois :

 

« Et puis il y a toute la question en Europe, mais ça on n’a pas le temps d’en reparler mais il faudra le faire, c’est de ce qu’on appelle les langues régionales, minoritaires, jusqu’aux patois qui paraît-il sont des langues, et ainsi de suite, et alors là, étant donné la mode ou plutôt la tendance lourde vers les indépendantismes régionalistes en Europe, Ecosse, Catalogne et ainsi de suite, c’est encore un facteur de fragilité des grandes langues. »

 

Rappelons que ce monsieur est « docteur d’État en science politique, habilité à diriger des recherches ». D’après lui donc, les langues minoritaires sont avec l’anglais parmi les principales menaces pour « les grandes langues ». On hallucine. De même, on est éberlué devant le mépris étalé. Thierry Garcin stigmatise les « patois », utilisant un terme clairement péjoratif et leur déniant ostensiblement le statut de langue. Ceci alors que la linguistique en fait des langues à part entière (« langue : tout système linguistique servant à communiquer ») et que la plupart des linguistes récusent catégoriquement le terme de « patois », considéré comme non scientifique. D’après le socio-linguiste Jean-Pierre Cavaillé, « ce mot [patois] est bien chargé de tout le mépris et de toute la condescendance sociale possible, en même temps qu’il pèse tout son poids de mépris et de condescendance linguistiques. »

 

La réponse du président de l’ « assemblée des fonctionnaires francophones » prolonge les élucubrations de Thierry Garcin. La langue minoritaire est pour lui vecteur de repli sur soi identitaire :

 

 « Absolument oui, le grand écart devient de plus en plus périlleux et ce n’est qu’une des dimensions. Vous savez les rétractions culturelles qui peuvent s’exprimer par ce genre de positionnement, elles signifient aussi qu’on est de moins en moins enclin à vouloir comprendre l’autre dans sa différence et vouloir s’enrichir de sa différence. »

 

Puis se monsieur poursuit sans rire sur la dérive technocratique des institutions internationales, qui serait, si l’on suit bien l’enchaînement logique, la conséquence d’un régionalisme exacerbé, ou au moins d’un pluralisme linguistique trop étendu (on en revient à nos « grandes langues » et à leur légitimité) :

 

« Or une organisation internationale, c’est une entité qui par sa nature doit représenter une multitude de gens différents, et si ces gens différents ne sont plus capables de s’écouter, de travailler ensemble ou d’avoir des velléités d’avancer côte-à-côte, alors les organisations internationales continuent à faire leur travail. Simplement elles le font par leurs propres décisions. Si les décideurs, ceux qui doivent gouverner l’orientation que prend l’organisation ne sont plus là pour décider de rien, parce qu’ils n’arrivent pas à se mettre d’accord sur les objectifs, nous, en interne, on a la compétence intellectuelle de faire nos propres choix. Et c’est un grand danger, parce que la douce direction de devenir des technocratie autogérées ayant un avis particulier sur le service qu’elles doivent rendre, c’est pas tout à fait le sens de la mission qui nous était au départ allouée. »

 

Sauf que, précédemment dans l’interview, ce même haut fonctionnaire associait dérive technocratique et monolinguisme croissant des institutions européennes :

 

 « et donc les organisations internationales, notamment européennes, ont tendance à devenir un peu des technocraties mono-culturelles, mono-linguistes »

 

Vous n’y comprenez rien ? Moi non plus.

 

Ou plutôt si. Il y a quelques aspects essentiels à retenir de ces lamentations, très largement partagées dans l’élite intellectuelle française. D’abord, le désarroi devant le recul du français à l’international (chouette !). Ensuite, l’hostilité à l’anglais et aux langues minoritaires. Enfin, l’insupportable morgue à brandir les principes de pluralisme et de diversité linguistique pour revendiquer à l’échelle internationale ce qui est refusé aux défenseurs des langues régionales dans le cadre hexagonal.


Au Pays Basque, l’opinion publique est loin d’être enthousiaste sur la langue

“Nous voulons vivre en basque”

Je viens de lire un article du Journal du Pays Basque (JDPB) qui vient confirmer une des idées que j’émettais dans le texte précédent : derrière les déclarations de principe en faveur de la sauvegarde des langues dites “régionales” (tout le monde s’y adonne maintenant en France, même Mélenchon et Le Pen, c’est dire), l’opinion publique est globalement méfiante, voire hostile sur la question (en plus d’être totalement ignorante). La dernière enquête socio-linguistique menée au Pays Basque (Communauté Autonome d’Euskadi, Nafarroa, Pays Basque Nord dit “français”) l’illustre très bien.

La langue basque en Iparralde (Pays Basque nord) se porte plutôt bien, si l’on observe la situation avec nos lunettes bretonnes. Le pourcentage d’élèves en filière bilingue ou immersive laisse notamment rêveur (de mémoire, l’enseignement en basque concerne près de 40% des élèves du primaire). Maintenant, si l’on adopte le point de vue d’Hegoalde (Pays Basque sud), où la langue est officielle, hyper-valorisée et abondamment pratiquée dans la zone bascophone, il y a de quoi être inquiet au vu du nombre de locuteurs qui continue de décroître et d’une pratique quotidienne de la langue en grosse difficulté (tiens donc !).

Là où l’enquête est particulièrement intéressante, et c’est ce que met en exergue l’article du JDPB, ce sont les représentations très contrastées sur la langue en Iparralde. D’une part, la promotion du basque est aujourd’hui moins bien perçue qu’en 1996 (42,3% d’opinions favorables à l’époque contre 38% en 2011). D’autre part, le nombre d’opposants à la promotion du basque gonfle, pour passer de 12,7% en 1996 à 21,3%. Cela peut paraître assez surprenant, surtout vu de chez nous où le soutien à la promotion du breton ne cesse de grandir. Dans la Communauté Autonome et en Nafarroa (bien qu’elle soit dirigée historiquement pas des partis espagnolistes hostiles au basque), le mouvement est inverse et les populations sont toujours plus favorables aux mesures de promotion. 

Cette opposition qui grandit en Iparralde (cf l’opposition à la création d’une filière bilingue dans l’école publique de Uztaritze comme autre exemple) illustre parfaitement les réticences larvées dans l’opinion publique française quant à des mesures concrètes de sauvegarde d’une langue minoritaire. Il est vrai que la langue basque est sur ce territoire incontournable, le militantisme linguistique étant très dynamique et chaque commune ou presque a son école en basque. De plus, à quelques kilomètres de là en Hegoalde, elle bénéficie d’un statut supérieur à celui de l’espagnol (chose encore plus vraie depuis que la coalition nationaliste Bildu dirige la province de Gipuzkoa). On peut donc penser qu’un certain nombre de personnes, issues pour la plupart du reste de la France (en tant que lieu de villégiature très couru, la côte basque accueille une population très importante de l’extérieur), et confrontées sur leur lieu de vie à une présence très concrète de la langue basque, affiche une hostilité claire devant ce qui leur paraît être une dérive, voire une situation anormale. Pour beaucoup de gens, qui ne font que débiter ce que le pouvoir républicain énonce, une bonne “langue régionale”, “un bon patois”, c’est une langue que l’on n’entend ni ne voit, sauf pour faire rigoler l’assemblée de temps en temps.

 

En Bretagne, on est d’autant plus favorable à la promotion de la langue bretonne qu’elle est absente du quotidien : mis à part les panneaux, les émissions du dimanche à la télé qu’on a vues une fois dans sa vie, et les écoles Diwan dont on a entendues parler au journal télévisé de TF1, la langue bretonne est sans doute quelque chose de très abstrait pour la plupart des gens. Gageons que si ces personnes étaient confrontées dans leur quotidien à une langue bretonne vivante, largement pratiquée, le soutien actuel a la langue bretonne dégringolerait comme en Iparralde.


La langue bretonne en perdition

« On l’apprend de plus en plus, mais on ne l’entend plus… »

Ces propos teintés d’amertume, je les ai entendus récemment d’une personne âgée bretonnante, qui s’étonnait de voir un jeune comme moi parler breton. Je trouve qu’ils résument parfaitement la situation de la langue bretonne. En effet, si elle gagne pas à pas du terrain dans la vie publique, sa pratique n’en recule pas moins de façon dramatique. Ce constat m’a donné l’envie de mettre sur le papier mes réflexions sur la langue bretonne.

Etat des lieux

 

Le nombre de locuteurs baisse à vitesse constante. Nous serions aujourd’hui environ 200 000 personnes connaissant le breton, la majorité d’entre-eux ayant plus de 60 ans. L’ampleur de la chute est nette quand on compare ce chiffre au million de locuteurs que connaissait la langue au début du XXe siècle. Rapporté à la population de Basse-Bretagne (environ 1,5M d’habitants), cela donne un pourcentage d’approximativement 15% de gens étant capable de le parler. Les bretonnants sont donc largement minoritaires sur le territoire historique du breton. Sur les 200 000 locuteurs actuels, quelques dizaines de milliers (30 000-40 000 ?) sont des néo-bretonnants, ayant appris de façon « non-naturelle ». Le nombre de bretonnants va vraisemblablement continuer de décroître rapidement dans les 20 années qui viennent pour se stabiliser autour de 40 000 locuteurs, soit 3% de la population de Basse-Bretagne… On est bien loin d’une langue largement partagée sur le territoire bas-breton.

La transmission familiale est depuis quelques dizaines d’années résiduelle, et ne concerne plus guère que quelques familles et parents noyés dans un océan francophone. Le contexte linguistique est tellement hostile et étouffant qu’élever son enfant en breton est une véritable gageure. Je connais trop de jeunes parents bretonnants qui ont finalement opté pour le français (certains n’ont même pas essayé de parler breton à la maison…). Le plus dur certainement est de voir des amis, extrêmement attachés à la langue, renoncer progressivement à parler breton à leurs enfants parce que tout autour d’eux les en dissuade. Etant moi-même parent, je peux confirmer que parler breton à son enfant est largement perçu comme une excentricité, et ce dans un secteur pourtant encore très bretonnant. L’enfant, lui, comprend très vite quelles places occupent l’une et l’autre langue dans la société, et il faut dès lors faire preuve d’une volonté à toute épreuve pour inverser son inclination à parler français. Deviendra-t-il locuteur ? Il n’y a malheureusement aucune certitude.

La formation de nouveaux bretonnants repose ainsi désormais complètement sur l’école et les cours pour adultes. Quelques 5000 adultes fréquentent les cours du soir ou les stages, mais une bonne partie d’entre-eux ne deviendra jamais bretonnante. Quant aux écoles bilingues ou immersives, la plus belle réussite du combat pour la langue bretonne (Dihun, Divyezh, Diwan), elles comptabilisent à elles trois 14 000 élèves sur toute la Bretagne, soit près de 5% des élèves de Basse-Bretagne. Cela signifie que 95% des enfants de Basse-Bretagne, une très large majorité donc, font leur scolarité sans contact ou presque avec la langue bretonne. La croissance de ces écoles en breton tend maintenant à se tasser, et de gros écueils demeurent comme dans le secondaire où le nombre d’élèves quittant l’enseignement en breton est conséquent, faute d’offre adéquate. Ajouté à cela le fait que ces élèves apprennent dans le cadre scolaire une langue que leur famille (pour une grande majorité) et la société n’utilisent plus, et on peut légitimement se demander combien, sur ces 14 000 élèves, seront de véritables bretonnants, et parmi ces derniers, combien utiliseront et transmettront le breton à l’âge adulte… Je crains que ces pourcentages ne soient assez déprimants.

Tout autant que les chiffres, la qualité de la langue est très inquiétante. Si le vocabulaire des locuteurs naturels est largement francisé, il n’en reste pas moins la référence sur le plan de la prononciation, de l’intonation, de la syntaxe et surtout de l’esprit de la langue. Or, le moins que l’on puisse dire, est que le breton utilisé en général par les néo-bretonnants est médiocre sur tous ces plans (il y a heureusement des exceptions). Au final, deux bretons cohabitent, celui des locuteurs natifs et celui des néo-bretonnants, et l’intercompréhension entre les deux est loin d’être évidente. Si le vocabulaire de ces derniers est « purifié » (autrement dit purgé au maximum des emprunts au français), tout le reste est lui dramatiquement francisé. Au point qu’il soit assez pénible de l’écouter, pour quiconque a dans l’oreille le breton « authentique ». Le jugement peut paraître sévère, mais on ne peut esquiver ce réel problème de la qualité de langue utilisée par la plupart des néo-bretonnants. Plusieurs facteurs contribuent à cette dégradation de la langue, au premier rang desquels la non-transmission familiale, et je peux témoigner des efforts conséquents qu’exige l’apprentissage d’un breton “propre” alors que le bain linguistique n’existe plus. On voit clairement les problèmes que cela peut poser, particulièrement dans les écoles, beaucoup trop d’enseignants n’ayant qu’une maîtrise très insuffisante de la langue (cf le constat assez désabusé que fait Mikael Madeg dans ses derniers livres, notamment dans Parler breton à son enfant). Cependant, parler un breton approximatif ne doit absolument pas être considéré comme une fatalité, et le perfectionnement de son breton devrait être pour chaque apprenant un objectif sur le long terme.

Les querelles d’orthographes me paraissent dès lors bien vaines, d’autant plus stériles que, jusqu’à preuve du contraire, on n’apprend pas à parler correctement une langue par l’écrit. L’orthographe peurunvan a sans doute des défauts, mais c’est elle qui est employée par l’immense majorité des bretonnants lettrés, et je ne vois guère le gain au niveau linguistique qu’il y aurait à en changer. Certains la rendent pourtant responsable du breton médiocre qu’on entend actuellement, voire en font un des aspects d’une supposée novlangue, le « néo-breton », chimère forgée par le mouvement breton pour remplacer le breton authentique. L’ânerie est tellement grosse qu’elle en est devenue un argument des jacobins pour disculper l’Etat français de la destruction du breton (cf Mélenchon qui la reprend désormais à son compte). C’est ainsi que sont mis sur le même plan l’orthographe peurunvan, la création de néologismes, l’œuvre linguistique de Roparz Hemon, la mauvaise prononciation et les erreurs de syntaxes des jeunes bretonnants, les écoles Diwan, etc., tout ce qui caractériserait en somme le « néo-breton » des nationalistes et s’opposerait au breton populaire. Mon but ici n’est pas de dédouaner le mouvement breton de certaines dérives linguistiques (la purification à outrance du vocabulaire, le mépris parfois pour le breton populaire, l’entreprise pour le moins élitiste et idéologiquement douteuse de Roparz Hemon), mais d’affirmer que la cause majeure de la faible qualité de langue des néo-bretonnants ne relève pas de la politique (l’idéologie nationaliste transposée à la langue) mais de la socio-linguistique (la non-transmission familiale). Si les néo-bretonnants peinent à maîtriser le breton, c’est bien parce qu’il leur manque ce bain linguistique si indispensable. D’ailleurs, l’Occitanie connaît exactement les mêmes problèmes de qualité de langue que nous, sans que l’idéologie y ait un poids aussi important qu’ici.

Les chiffres sont donc assez parlants et montrent combien les bretonnants occupent une place marginale dans la société. Ils sont corroborés par cette impression globale, ce sentiment que le breton a terriblement reculé dans les usages sociaux. Les occasions se font de plus en plus rares de surprendre des conversation en breton. Dans les commerces, les bars, les allées de boules, on l’entend encore le breton, mais de façon très occasionnelle maintenant. Et au vu de l’âge des locuteurs, on se dit que dans une vingtaine d’années, il est envisageable que le breton ne s’entende plus nulle part. Dans les événements militants bien sûr, on continuera de le pratiquer. Mais ailleurs dans la société, la pratique orale risque fort de n’être plus que dérisoire, et revêtir un côté très exotique pour l’immense majorité des Bretons (il commence déjà à l’être). Il est sans doute là, le signe le plus fort que la langue, nous sommes irrémédiablement en train de la perdre.

Et pourtant, dans l’esprit de beaucoup, nous l’avons sauvée la langue bretonne. Les écoles Diwan, les (maigres) émissions de radio et de télé, les dictionnaires et publications en tout genre, l’Office public de la langue bretonne, les panneaux bilingues, la reconnaissance institutionnelle par la région, tout cela témoigne indubitablement d’une certaine vitalité. Au point de sans doute créer une certaine illusion sur l’état réel de la langue. Tout ces acquis gagnés depuis les années 1970 contribuent à former un écran de fumée, et nombre de Bretons considèrent sans doute trop vite la langue comme sauvée. Certes, elle continue de gagner des espaces. Sa présence écrite dans l’espace public ne cesse de croître, et c’est évidemment une bonne chose. Sur internet, son importance est même quelque peu disproportionnée par rapport à son poids sociétal réel (autour du 50e rang sur Wikipedia, campagne pour l’interface en breton de Facebook, etc.). On peut s’en réjouir, mais ces succès relèvent plus de la symbolique qu’autre chose et n’ont guère d’impact sur la société. Comme si l’on édifiait un décor quand l’essentiel se perd, la pratique quotidienne.

Quelques considérations personnelles

 

Les efforts militants ont permis quantité d’avancées, et pourtant nous avons certainement échoué. Le breton est aujourd’hui au bord du précipice. Encore que, on trouvera plus mal en point que nous.  Il est vrai que toutes les langues dites « de France » (vous savez, ces langues que la France détruit mais qu’elle s’approprie sans vergogne comme faisant partie de son “patrimoine”…) dévalent la même pente fatale. Certaines sont proches du choc final, comme l’occitan limousin (cf le splendide livre de Jan dau Melhau, Ma lenga, dont j’aurai l’occasion de parler). D’autres, tels les créoles et le basque, sont encore en haut et n’ont pas pris trop de vitesse. Nous, nous sommes au milieu de la pente, mais notre tour viendra, inéluctablement. Et ils viendront recouvrir les dépouilles de nos langues de leur drapeau tricolore. L’Hexagone est d’ores et déjà un cimetière de langues et de cultures. Il faudra bien que les responsables de cette dévastation rendent des comptes. L’Etat français au premier chef, qui a toujours tout fait pour que nos langues soient piétinées par le français, langue élue, langue du pouvoir. D’ailleurs, on nous dit et redit que nos langues sont « régionales ». « Régionales », parce que d’un échelon administratif subalterne, inférieur. Tout est dit. Nos langues sont “régionales”, donc inférieures. Leur langue est nationale, donc supérieure. Voilà comment, en France, l’on inscrit dans le marbre l’inégalité entre les langues. Ma langue, ni aucune autre, n’est régionale. Elles sont toutes nationales, parce que l’expression vivante de peuples et de nations qui ne veulent pas mourir.

Le peuple breton, on la lui a extirpé sa langue, sans anesthésie, kriz-ha-kriz. A coups de brimades et de vexations, et en la chassant de l’espace public. On lui en a greffé une nouvelle. La société rurale bas-bretonne est passée en un siècle d’un monolinguisme à un autre, du breton au français, après un bref moment diglossique (deux générations). Les Bretons, en perdant leur langue et leur âme, ont gagné le droit d’accéder à la foutue culture universelle de leur colonisateur. Surtout à leur marché du travail en fait. La Basse-Bretagne aurait fort bien pu devenir un territoire bilingue, comme d’autres autour de nous (Catalogne, Pays Basque, Frise, Pays de Galles, etc.), où les deux langues cohabiteraient à peu près harmonieusement. Mais en France, ce n’est pas comme ça que l’on envisage les choses. L’obsession pour l’unité imposait d’écraser tout ce qui différait par trop de la langue centrale. Nos langues, qui pouvaient tout dire dans toutes les sphères de la vie, ont été rabaissées au rang de patois, et leurs locuteurs frappés de bêtise. Le gâchis est grand, monumental même.

Les autres responsables de la perte du breton, ce sont les Bretons eux-mêmes. Les élites d’abord, qui de tout temps ont trahi le peuple et singé le colonisateur. Les nobles de l’Ancien régime, aveuglés par les lumières de la monarchie versaillaise, ont été les premiers à délaisser notre langue nationale. Puis les élus, les fonctionnaires, les enseignants, tous ces petits laquais de la République, ont parachevé le travail d’uniformisation en appliquant avec zèle le dogme français d’un pays – une nation – une langue. Le peuple, moqué dans sa langue et son identité, humilié par l’école, lâché par ses élites, a baissé la tête. Les rares exemples de résistance (Anjela Duval !) ne font que confirmer la règle d’une soumission complète des Bretons à l’ordre linguistique imposé. Alors, on trouve aujourd’hui des personnes qui croient que la République n’est pas foncièrement hostile aux langues minoritaires,  et mieux, qu’il ne manque pas grand-chose à la France pour se mettre à protéger et revivifier son patrimoine linguistique (cf ce courant minuscule du Front de Gauche qui milite pour les langues minoritaires). Surtout, nous disent-ils, éloignons de nous la tentation de l’autonomie régionale. C’est dans le cadre de la France centralisée, par des lois républicaines, et dans le cadre de l’Education nationale, que doit s’envisager l’avenir de nos langues. C’est notre tombe qu’ils creusent oui ! La vérité est que ces idiots utiles, en bons républicains, tentent de marier jacobinisme et diversité linguistique, autrement dit l’eau et le feu.

 

La langue est dans une situation déplorable, et tout le monde ou presque s’en accommode. La société bretonne, dirigeants politiques en tête, a presque complètement intégré le dogme républicain : le culte de la langue unique, le credo de l’unité et de l’indivisibilité de la France. L’opinion publique, façonnée par l’école et les médias, se révèle particulièrement ignorante sur un sujet comme celui des langues « régionales ». En Bretagne, nombre de préjugés, croyances et approximations circulent à propos des langues de Bretagne. Personne n’a été leur expliquer ! En France, c’est pire encore, car à la méconnaissance se rajoute la méfiance. Le peuple français a intériorisé le dégoût des élites républicaines pour les patois. Cela ne dérange personne tant que l’on en reste au stade de la comédie burlesque (cf Bienvenue chez les Ch’tis), mais dès que l’on parle de bilinguisme généralisé dans certaines régions, le Français s’insurge. Il y a bien entendu nombre de Français ouverts sur la question, mais globalement on ne peut pas dire que l’opinion publique française soit réellement favorable à une vraie diversité linguistique. D’ailleurs, les Bretons eux-mêmes, si on allait les chercher un peu, se singulariseraient-ils des Français ? On nous dit que 90% d’entre-eux sont favorables à la survie de la langue bretonne. Merveilleux. Il y a tout lieu de penser cependant que cela n’est qu’une prise de position gratuite n’engageant à pas grand-chose (ce que confirme le faible engouement populaire pour la cause de la langue bretonne, il ne faut pas se faire d’illusion). Les gens n’étant guère amenés à réfléchir sur le bilinguisme, ou ce qu’implique la sauvegarde d’une langue minoritaire, il y a fort à parier que des réticences importantes apparaîtraient avec des questions plus concrètes comme celles-là :

« êtes-vous favorable à la généralisation de l’enseignement en breton ? »

« êtes-vous d’accord avec les parents qui élèvent leurs enfants en breton ? »

« êtes-vous favorable à la possibilité d’utiliser le breton dans les services publics ? »

 

Au vu des obstacles en tout genres, notamment politiques, il semble vraisemblable que les Bretons ne se réapproprieront pas leur langue. Quand bien même la Bretagne obtenait enfin une autonomie digne de ce nom, avec de vrais moyens pour une politique linguistique, il n’est pas certain que les résultats soient au rendez-vous. Un scénario à l’irlandaise serait sans doute le plus probable, avec une population rétive à se réapproprier sa langue. L’attachement des Basques ou des Gallois a leur langue est sans commune mesure avec celui des Irlandais ou des Bretons.

 

Notre langue, nous allons la perdre, mais nous avons le devoir malgré cela de nous battre contre cette injustice et de sauver ce qui peut l’être. Tant que nous la ferons vivre, nous adresserons un formidable “MERDE” à ce pays qui veut nous rayer de la carte depuis des siècles. Leur langue française et leur francophonie, je n’en ai rien à foutre. Qu’ils crèvent. Ce ne sera que juste vengeance. La destruction de notre langue justifie toutes les destructions.

 

PS1 : j’ai écrit ce texte en français, et je m’en explique. D’une part, j’ai plus de facilité à écrire en français sur des sujets un peu complexe (et j’avoue en toute franchise que mon bilinguisme breton-français n’est pas encore équilibré ; le sera-t-il un jour ? ). D’autre part, la langue bretonne est suffisamment présente dans mon quotidien et mon environnement pour ne pas ressentir la nécessité absolue d’écrire en breton.

 

PS2 : le breton est avant tout la langue de la Basse-Bretagne. C’est sur ce territoire que devraient s’appliquer une politique linguistique ambitieuse et des droits élargis pour les bretonnants. Concernant la Haute-Bretagne, il n’est pas illogique que Nantes et Rennes, en tant que capitales bretonnes abritant de nombreux bretonnants, donne une large place à la langue. Pour le reste de la Haute-Bretagne, on ne peut faire comme si le gallo n’existait pas ou plus. et il ne me paraît pas logique et souhaitable d’aller y revendiquer du breton. Que le gallo soit valorisé sur son aire naturelle devrait être une préoccupation de tout nationaliste breton.