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Les départements, à quoi ça sert ?

 

A l’heure où le gouvernement socialiste s’apprête à réformer l’inimitable organisation administrative française, les départements continuent de briller par leur inutilité, quand bien même leur berger Claudy Lebreton (président de l’Assemblée des départements de france et du CG des Côtes d’Armor) écume les ministères et autres médias parisiens pour  vanter “le rôle économique et social majeur joué par les départements“. On rigole, encore plus après avoir écouté la chronique du “toutologue” Philippe Meyer sur France Culture le vendredi 19 octobre. Celui-ci nous offre encore un poilant exemple de gabegie orchestrée par un département, en l’occurrence l’Aisne. Après s’être penché sur les slogans branché en anglais (“L’Aisne, it ‘s open“, “Aisneglish institute“, “AisneJoy“, “direction the camp’aisne“) et les jeux de mots à deux balles qui figurent sur les affiches du métro parisien (“du talent 100% l’Aisne“, ” J’M l’N “), il termine ainsi sa chronique :

“il faut décerner un prix spécial à la collectivité territoriale capable de financer pour donner de la notoriété à son département, une campagne au terme de laquelle on en a rien appris, même pas où il se trouve”

 

Une petite recherche sur internet, et l’on apprend que le Conseil Général de l’Aisne finance ainsi année après année une campagne de notoriété à destination des Parisiens, et ce depuis 2005. Le coût annuel de cette campagne, qui était de 1 M€, s’est retrouvé réduit à 250 000€ à partir de 2010. Satanée crise ! Ce marketing territorial utilise toutes les formules du genre, misant à la fois “sur un ton décalé pour promouvoir les atouts de son territoire auprès des entreprises et des futurs entrepreneurs” et invoquant “ses valeurs traditionnelles et novatrices ainsi que ses capacités d’accueil, d’écoute, de soutien et d’accompagnement”. Le blabla habituel des agences de communication en somme.

 

Comme le fait Philippe Meyer dans sa chronique, on peut raisonnablement se poser la question du coût des budgets communication des collectivités locales de France au vu de l’exemple ci-dessus. Rien que dans les Côtes d’Armor, on aimerait bien connaître l’argent dépensé dans le bulletin mensuel “Côtes d’Armor magazine”, la télé locale “Armor TV”, ainsi que les campagnes d’affichage régulières sur les initiatives à la con du Conseil Général (qui est, des trois départements bas-breton, celui qui dépense le moins pour la langue bretonne par locuteur). Et que dire des millions d’euros que la région bidon des Pays de la Loire fouette pour tenter de forger de toute pièce une identité de pacotille ? On mesure là l’absurdité du système administratif français, composé de territoires tellement artificiels et dénués d’identité, que les collectivités locales en viennent à dépenser des millions d’euros, pour développer leur notoriété et dans un but de construction identitaire. 

 

 


Derc’hen a ra ar stourm e Kernitron-al-Lann

 


Dimeurzh penn-sizhun oa en em gavet ouzhpenn 500 a CRSed hag a baotred Mari-Robin  evit hargas kement hini hag a stourm a-enep d’an danvez-aerborzh. Ha ne vez ket kollet amzer. Bezañ zo un toullad tier dispennet dija, ha prestik ne vo ti ebet ken en e sav e-lec’h vo savet an aerborzh. Pegement e kousta da Yann sitoian ? 500 000€ betek bremañ, hervez unan plaset-mat. Ha n’eo ket fin. Derc’hen a ra ar stourm a-enep da sorc’henn ar Sozialisted (ret eo lâret emaint tout a-du evit an aerborzh).  Tal-o-c’hichen ne glever ket ken Duflot hag he c’hensorted glaz, tapet berr int goude ‘devant embannet bezañ a-enep. Met se oa gwezhall ! N’eo ket ar wezh kentañ e vez tremenet lost al leue dre hon genoù.

 

Neuze e terc’h ar stourm eno. An degadoù a dud a oa en em staliet war dachenn an aerborzh evit labourat an douar hag enebiñ deus kirri-nij ar PS zo rekouret bremañ gant tud all deus tamm bihan pep lec’h.  Goude e vanka traoù dezhe (boued ha dilhad) e terc’hont penn bepred. Tier dilosket an deizioù a-raok zo bet addigoret. Ha kalz a vanifestadegoù skoazell a vez ‘ba bro Naoned hag e lec’h all. Dont a ra da soñj dimp ‘ba Plougoñ. Siwazh, dav eo lâret emañ an tu-kreñv gant Ayrault hag e lakizien. Ar galloud politikel kement hag an holl mediaoù zo dindannañ (klevet ‘peus-c’hwi komz deus stourm Kernitron ‘ba ‘r mediaou ?)… Bepred eo e vez diskwelet sklaer dezhe penaos ne vefont ket laosket da drailhañ hon bro evit o “c’hreskidigezh santel”.

 


Francophonie, du colonialisme au chauvinisme linguistique

Cette semaine sur France Culture, on a côtoyé le pire comme le meilleur. Le meilleur, c’était lors du documentaire « Sur les docks » du lundi 8 octobre, intitulé « Je ne parle pas la langue de mon père ». L’écrivaine franco-algérienne Leïla Sebbar, en quelques mots admirables, décrivait la non-transmission par son père de sa langue maternelle, l’arabe. Ce dernier, instituteur dans  l’instruction publique française de l’Algérie coloniale, avait en effet fait le choix de refouler sa langue dans le cadre familial, et ainsi d’éduquer ses enfants en français :

 

« Dans sa langue, il aurait dit ce qu’il ne dit pas dans la langue étrangère. Il aurait parlé à ses enfants de ce qu’il était. Il aurait raconté ce qu’il n’a pas raconté. Non pas de sa vie à lui, un père ne parle pas de sa propre vie à ses enfants. Non, de sa vie il n’aurait pas parlé. Mais les histoires de la vieille ville marine, les légendes, les anecdotes, le petit homme rusé qui se moque des puissants et ça fait rire les faibles, les pauvres. Il aurait raconté les ancêtres, le quartier. Vérité et mensonge. Il aurait ri avec ses enfants dans sa langue, et ils auraient appris les mots de gorge, les sons roulés, répétés, articulés encore et encore. Maître d’école dans sa maison. Ensembles ils auraient déchiffré, récité, inscrit sur l’ardoise noire les lettres qu’ils ne savent pas tracer. »

 

A travers la non-transmission de la langue, c’est une culture et une histoire que l’on condamne à l’oubli. En d’autres termes, priver un peuple de sa langue conduit à lui fermer les portes de sa propre culture et de son histoire :

 

– (réalisatrice) « Qu’est-ce que votre père ne vous a pas transmis, sa langue oui, mais beaucoup plus, ce que vous dites dans ce livre… »

« Oui, je crois que c’est davantage. Et puis on sait qu’une langue, c’est une civilisation, sur des siècles, et des siècles. Et dire… priver quelqu’un d’une langue, quand il s’agit d’une langue paternelle ou maternelle, si on parle de langue maternelle, on dit la première langue. On dit la langue du corps, de la mère ou du père. Et donc l’absence de la langue c’est l’absence de tout l’arrière pays, de toute l’histoire depuis très très très longtemps. Et je crois que mon père, je ne suis pas sûre qu’il l’ait su, qu’il me privait de tout cela. »

 

Derrière l’apparence du choix raisonné et assumé, se dévoile l’aliénation coloniale sous sa facette linguistique :

 

« Je pense que ce n’était pas du tout prémédité. Je pense quand même que c’était une certaine volonté mais je crois qu’il a été très… très touché par la colonisation. Quand je dis touché, ça veut dire entamé… entamé. Et d’une certaine manière il n’a pas échappé aux effets de la colonisation en Algérie. »

 

Avec une sentence à laquelle je souscris personnellement, étant malheureusement trop conscient qu’une vie ne me permettra pas de récupérer complètement la langue dont on m’a privée :

 

« une langue que l’on n’apprend pas à la maison, on ne l’apprend jamais »

 

Puis France Culture nous a offert le pire, ce matin vendredi 12 octobre, dans l’émission « Les enjeux internationaux ». Le thème abordé était celui de la francophonie, le prochain sommet de cette organisation se préparant à Kinshasa. Le présentateur de l’émission, Thierry Garcin, est docteur d’État en science politique, habilité à diriger des recherches, et il a publié de nombreux articles et ouvrages, dont Les Grandes Questions Internationales depuis la chute du mur de Berlin (Economica, 2è ed, 2009). Excusez du peu. Et son invité était pour l’occasion Dominique Hoppe, président de l’assemblée des fonctionnaires francophones des organisations internationales (AFFOI).

 

 Le texte de présentation sur le site de l’émission donne le ton :

 

« Parler une langue étrangère, c’est se plier à son mode de penser. 

 

En quoi l’affaiblissement du français dans les organisations internationales réduit-il le pluralisme non seulement linguistique mais aussi intellectuel et politique. »

 

Le premier sourire est esquissé. Dénonciation du phénomène de domination d’une langue sur l’autre, défense du pluralisme linguistique… comme on dit en breton, ar pouthouarn a lâr d’ar chaodourenn eo du he revr, ou la marmite dit au chaudron que son cul est noir.

 

Dominique Hoppe dresse un tableau alarmant de la situation du français dans les organisations internationales. Il y constate une « dégradation des pratiques linguistiques ». L’ « anglais hégémonique » relègue le français comme langue « périphérique utilisée de temps à autre ». Présentateur et interviewé surenchérissent alors dans la défense du français, cette « grande langue de littérature » décrite comme supérieure à l’anglais dans le domaine du droit.

 

Les méfaits du monolinguisme anglais sont pointés du doigt (sans que le monolinguisme français ne soit lui jamais interrogé dans le cadre hexagonal) :

 

« En réduisant tout cela à une langue unique on amène les gens à penser de façon simpliste. Et la pensée unique n’est bonne pour personne. »

 

Tout chauvinisme linguistique est cependant balayé d’emblée par le haut fonctionnaire d’un revers de main. La défense du français dans les institutions internationales doit être considérée comme relevant d’un juste combat pour la diversité culturelle :

 

 « On n’essaye pas de défendre le français pour défendre le français. On essaye de défendre le français pour apporter une forme de diversité linguistique, culturelle et conceptuelle. »

 

La formule est bien évidemment creuse, et Thierry Garcin précise lui ce que l’on entend, dans les milieux intellectuels français, par diversité linguistique :

 

« le fait de défendre et de promouvoir le français doit s’accompagner de la défense et de la promotion aussi d’autres grandes langues ».

 

Tout est dit ou presque sur la façon dont on conçoit en France le pluralisme linguistique : ce dernier ne doit concerner que les « grandes langues ». Dans la question suivante, le présentateur s’en prend directement aux langues minoritaires, avec une incurie qui laisse pantois :

 

« Et puis il y a toute la question en Europe, mais ça on n’a pas le temps d’en reparler mais il faudra le faire, c’est de ce qu’on appelle les langues régionales, minoritaires, jusqu’aux patois qui paraît-il sont des langues, et ainsi de suite, et alors là, étant donné la mode ou plutôt la tendance lourde vers les indépendantismes régionalistes en Europe, Ecosse, Catalogne et ainsi de suite, c’est encore un facteur de fragilité des grandes langues. »

 

Rappelons que ce monsieur est « docteur d’État en science politique, habilité à diriger des recherches ». D’après lui donc, les langues minoritaires sont avec l’anglais parmi les principales menaces pour « les grandes langues ». On hallucine. De même, on est éberlué devant le mépris étalé. Thierry Garcin stigmatise les « patois », utilisant un terme clairement péjoratif et leur déniant ostensiblement le statut de langue. Ceci alors que la linguistique en fait des langues à part entière (« langue : tout système linguistique servant à communiquer ») et que la plupart des linguistes récusent catégoriquement le terme de « patois », considéré comme non scientifique. D’après le socio-linguiste Jean-Pierre Cavaillé, « ce mot [patois] est bien chargé de tout le mépris et de toute la condescendance sociale possible, en même temps qu’il pèse tout son poids de mépris et de condescendance linguistiques. »

 

La réponse du président de l’ « assemblée des fonctionnaires francophones » prolonge les élucubrations de Thierry Garcin. La langue minoritaire est pour lui vecteur de repli sur soi identitaire :

 

 « Absolument oui, le grand écart devient de plus en plus périlleux et ce n’est qu’une des dimensions. Vous savez les rétractions culturelles qui peuvent s’exprimer par ce genre de positionnement, elles signifient aussi qu’on est de moins en moins enclin à vouloir comprendre l’autre dans sa différence et vouloir s’enrichir de sa différence. »

 

Puis se monsieur poursuit sans rire sur la dérive technocratique des institutions internationales, qui serait, si l’on suit bien l’enchaînement logique, la conséquence d’un régionalisme exacerbé, ou au moins d’un pluralisme linguistique trop étendu (on en revient à nos « grandes langues » et à leur légitimité) :

 

« Or une organisation internationale, c’est une entité qui par sa nature doit représenter une multitude de gens différents, et si ces gens différents ne sont plus capables de s’écouter, de travailler ensemble ou d’avoir des velléités d’avancer côte-à-côte, alors les organisations internationales continuent à faire leur travail. Simplement elles le font par leurs propres décisions. Si les décideurs, ceux qui doivent gouverner l’orientation que prend l’organisation ne sont plus là pour décider de rien, parce qu’ils n’arrivent pas à se mettre d’accord sur les objectifs, nous, en interne, on a la compétence intellectuelle de faire nos propres choix. Et c’est un grand danger, parce que la douce direction de devenir des technocratie autogérées ayant un avis particulier sur le service qu’elles doivent rendre, c’est pas tout à fait le sens de la mission qui nous était au départ allouée. »

 

Sauf que, précédemment dans l’interview, ce même haut fonctionnaire associait dérive technocratique et monolinguisme croissant des institutions européennes :

 

 « et donc les organisations internationales, notamment européennes, ont tendance à devenir un peu des technocraties mono-culturelles, mono-linguistes »

 

Vous n’y comprenez rien ? Moi non plus.

 

Ou plutôt si. Il y a quelques aspects essentiels à retenir de ces lamentations, très largement partagées dans l’élite intellectuelle française. D’abord, le désarroi devant le recul du français à l’international (chouette !). Ensuite, l’hostilité à l’anglais et aux langues minoritaires. Enfin, l’insupportable morgue à brandir les principes de pluralisme et de diversité linguistique pour revendiquer à l’échelle internationale ce qui est refusé aux défenseurs des langues régionales dans le cadre hexagonal.