Mardi 16 novembre. L’UNESCO vient de consacrer le « repas gastronomique des Français » comme faisant partie du patrimoine de l’Humanité. Ironie de l’histoire, cette gastronomie à la française a été élue par un jury qui s’est réuni à Nairobi (Kenya), en plein cœur de l’Afrique, continent en proie à des famines régulières sur de vastes territoires. Il faut reconnaître que c’est une belle victoire en tout cas pour la France, et pour Sarkozy qui était à l’origine en 2008 de cette demande. C’est ainsi que les « experts » de l’UNESCO ont estimé que le repas en France serait « une pratique sociale coutumière destinée à célébrer les moments les plus importants de la vie des individus et des groupes ». Ils ont surtout cédé aux pressions des plus hautes autorités de l’Etat français, celles-ci ayant forcément fait pencher la balance en leur faveur. Comment expliquer autrement qu’un fait culturel aussi fumeux que le « repas gastronomique français » ait pu accéder au rang de « patrimoine immatériel » de l’Humanité ? Pourquoi le repas français, et pas le norvégien, l’italien ou le japonais ? Quand on pense que cette inscription du repas gastronomique français implique la mobilisation de fonds et la mise en place de mesures pour assurer sa pérennité ! On touche le fond, alors même que des millions de Français sont abonnés aux restos du Cœur. L’UNESCO vient en tout cas de se tourner elle-même en ridicule, et de montrer à quel point elle n’est qu’une institution fantoche à la botte des Etats les plus puissants.
Jeudi 18 novembre. La proposition de loi sur les langues régionales qu’un intergroupe de l’Assemblée nationale nous promettait depuis longtemps est abandonnée. Une sombre querelle politicienne serait à l’origine de l’abandon du texte, Urvoas (PS) et Le Fur (UMP) se renvoyant la balle. En tout cas, c’est une fin de scénario pitoyable pour un mauvais feuilleton où l’on a voulu nous faire croire que la République française allait enfin reconnaître et soutenir les langues présentes sur son territoire. Du pipeau, comme toujours. L’échec lamentable de cette proposition de loi était de toute façon programmé, étant entendu que ça arrangeait bien les parlementaires de l’intergroupe de ne pas à avoir à discuter un projet de loi qui n’aurait de toute façon jamais eu la moindre chance de passer.
Deux événements totalement différents, à deux jours d’intervalle, qui résument avec éclat « l’exception culturelle française ». A l’étranger on parade, on ergote, on cherche à éblouir l’Humanité. En France on ignore, on tait, on méprise une diversité culturelle perçue comme une menace et un affront au principe d’unité et d’indivisibilité de la République. On dénigre, on moque et on délaisse dans leur merde des langues et des cultures considérées comme inférieures et vouées à la momification. La voilà cette « exception culturelle française », qui n’est que l’expression d’un hideux sentiment de supériorité, à la hauteur du désir insatiable de grandeur qui habite les élites de ce pays.
Je hais la France.
La France n’a jamais respecté les divers groupes humains linguistiquement et culturellement distincts qu’elle a absorbés pendant sa longue histoire impérialiste et coloniale. Nous Bretons, Kanaks, Occitans, Guadeloupéens, Corses, Réunionnais, Basques, Amérindiens de Guyane, etc., cette France généreuse n’a eu de cesse de s’échiner à effacer nos spécificités et de détruire nos identités. Heureusement pour eux, nombre de peuples ont profité de la fenêtre de la décolonisation pour s’échapper du carcan colonial jacobin. Malheureusement pour nous et tant d’autres, nous y restons encore emmurés vivants. Nous pataugeons tous dans la même merde jacobine. Que ce soient les bretons ou les Wayanas, peuplade amérindienne de Guyane menacée dans son mode de vie et sa culture, menacée de disparition tout court par l’orpaillage sauvage et massif, la République n’a rien d’autre à faire miroiter que sa citoyenneté-totem, qui requiert de s’extraire physiquement et culturellement de sa communauté pour espérer accéder aux merveilleuses possibilités de la société française, et plus sûrement grossir les rangs des déclassés sociaux et autres exclus de la République.
Le grand principe progressiste d’unité et d’indivisibilité de la République implique que les diverses communautés culturelles présentes sur le territoire français soient rayées de la carte. Ceci ne se fait pas physiquement bien sûr, mais par un processus bien plus insidieux et sournois par lequel on rend les populations minorisées les acteurs de leur propre déculturation. Un habile conditionnement allié à une infériorisation de tous les instants, ont eu raison de communautés culturelles entières. L’efficacité a été incroyable, à faire pâlir d’envie les divers génocidaires que le XXe siècles a pu compter. Dans l’hexagone, il ne reste plus que des lambeaux de peuples, des bribes de langues et de cultures. L’éloignement permet aux colonies d’outre-mer de mieux résister, mais elles continuent néanmoins de subir ce processus lent et irréversible de déculturation, qui fait de nos communautés des groupes culturellement et spirituellement morts, dissous sur le plan de notre rapport au monde et de nos traditions, privés de la possibilité collective d’assurer notre pérennité et de faire vivre nos identités.
Ce crime que la France s’évertue à finir proprement, elle continue de le minimiser et de le présenter comme naturel, inéluctable, légitime du point de vue du progrès humain. France phare de l’humanité, incarnation des Droits de l’Homme, historiquement à la tête du progrès humain, autant de foutaises dont ses élites se bercent pour mieux affirmer la supériorité de leurs valeurs nationales. Ils justifient le sacrifice de nos identités en invoquant leurs grands principes, l’égalité, la laïcité, et d’autres mythes encore qui ne parviennent que difficilement à masquer une obsession pathologique pour l’unité, le multiple unique, le tous semblables, la communauté nationale de citoyens interchangeables. Ce pays est dans l’incapacité de se concevoir pluriel et divers, de reconnaître et de valoriser la multiplicité des pratiques culturelles qui y ont cours sur son territoire.
Cet Etat fait de moi, qui désire vivre dans ma langue et dans ma culture au quotidien, une anomalie, un excentrique se situant en dehors de la norme sociale, linguistique et culturelle, imposée par le pouvoir et parfaitement intégrée par la quasi-totalité des citoyens. Sans être parti de là où ont vécu des générations et des générations de mes ancêtres, cette République me contraint à vivre mon identité de façon folklorique, marginale, incomprise. Aucun de leur beaux principes, encore moins leur farce de pacte républicain, ne pourra jamais justifier cette violence qui m’est faite, qui nous est faite. Comment puis-je adhérer à cette nationalité française, qui derrière son caractère d’évidence, cache le visage hideux d’une imposition totale, complète, à tous les âges de la vie et dans tous les espaces sur lequel cet Etat exerce son autoritarisme ? Comment adhérer à cette identité forcée qui nous prive de la possibilité d’offrir à l’étranger s’installant en Bretagne notre culture ?
Le pacte républicain est un de leurs principes incantatoires invoqués pour légitimer cet anéantissement à grande échelle de cultures minoritaires. L’accès à la citoyenneté étant conditionné de fait par l’abandon collectif de tous nos traits culturels spécifiques, ce pacte revient pour nous qui différons de la norme, à nous renier nous-mêmes, à renoncer à nos droits linguistiques et culturels. La religion républicaine jacobine, avec son dogme, ses croyances, ses fidèles, ne tolère pas de corps intermédiaire entre l’Etat et l’individu. Nous ne sommes rien dans cette France qui ne reconnaît ni peuples, ni nations, ni minorités, ni communautés autres que la communauté nationale française. Nous sommes juste des ombres qui cherchent à survivre dans leurs territoires que l’Etat a dévastés.
Je hais cette République de flics qui a régulièrement brimé les mouvements ouvriers tout au long de son histoire. Je hais cette République qui a conquis et colonisé au nom de ses grands idéaux de merde. Je hais cette République qui a torturé pour maintenir l’ordre républicain dans ses colonies. Je hais cette République qui a massacré au nom de son Unité et de son indivisibilité. La France me fait gerber. Ses mythes et ses symboles me font gerber. Son idéologie jacobine et son centralisme me font gerber.
Je hais la France.
Indépendance pour la Bretagne ! Breizh Dieub !
(je tiens à préciser que les sentiments exprimés ici s’adressent à la France en tant qu’entité politique, et pas envers les Français, que je dissocie de leur Etat)