Carte tronquée du Duché de Bretagne issue de “Fouilles et découvertes en Bretagne” aux éditions Ouest-France
Teirvet destenn diwar-benn West-Torch. Homañ oa bet embannet ivez ‘ba Klask ha Distruj 2. Enni zo kaoz deus ur sondaj graet e miz meurzh 2009 gant West-Torch a-enep da Breizh hadunvanet.
Troisième texte au sujet de West-Torch, publié également dans Klask ha Distruj 2. J’y évoque le fameux sondage de mars 2009 grâce auquel West-Torch tentait d’enterrer la revendication de la réunification de la Bretagne.
Petites remarques sur les « surprises » du « sondage exclusif » sur la réunification
« Les surprises de notre sondage exclusif », voilà ce que claironnaient les affichettes Ouest-France du samedi 7 mars 2009…
Si la couverture du journal restait mesurée par le titre (« Une Région élargie ? Les Bretons partagés ») et par l’édito sibyllin de François Régis Hutin, la page dédiée au « sondage exclusif » avait tout l’air d’un cri de victoire. Le sous-titre annonçait le ton triomphal des articles à venir (« Une énorme surprise ! A une très large majorité, les habitants des quatre départements bretons ne souhaitent pas la réunification. Ceux de la Loire-Atlantique n’en veulent pas non plus »). Le semblant d’analyse région par région servait et se confondait avec une légitimation du découpage régional actuel, au bénéfice notamment de la région Pays de la Loire, apparemment plébiscitée par ses habitants (« A ce niveau de majorité, on peut y voir un réel attachement, une volonté de ne pas casser l’unité qui se construit depuis un demi-siècle »). Ouest-France l’avait calculé, son sondage allait mettre tout le monde d’accord, et faire pencher la balance du bon côté, le sien et celui de ses amis politiques partisans du statu quo.
Un sondage critiquable
Le recours massif aux sondages par les médias de masse actuels (dont Ouest-France) ne doit pas masquer la faillibilité de ce genre d’enquête, où le compromis entre fiabilité statistique et coût se fait souvent au détriment du premier. Les échantillons se révèlent ainsi faibles (499 en Normandie, 500 en Bretagne, 709 dans les Pays de la Loire, dont 300 en Loire-Atlantique). De même, la méthode des quotas utilisée n’est pas un gage de validité statistique. Dès lors, la moindre des précautions est d’émettre des réserves sur les enseignements à tirer, et de faire preuve d’une certaine mesure.
Par ailleurs, l’absence étrange d’une catégorie « sans opinion » pose question. Le fait est que les « sans opinion » ont vraisemblablement été basculés avec les partisans du statu quo… contre toute rigueur scientifique (être « sans opinion » équivaudrait à une « préférence » pour en « rester à la situation actuelle » ?). Visiblement, tout a été mis en oeuvre pour donner un caractère « massif » à la préférence au statu quo.
La victoire de celui-ci était d’autant plus prévisible que la question du redécoupage territorial est polluée par divers éléments, au premier rang desquels la crise socio-économique actuelle. Pour beaucoup de gens, l’urgence est à la gestion de la crise et pas à la réorganisation territoriale, perçue comme une dépense superflue d’argent à un moment critique. L’enquête de Opinionway/Le Figaro/LCI publiée dans les colonnes du Figaro le 8 mars, le même jour que celle de O-F, ne disait pas autre chose : 53% des personnes interrogées sont opposées à la réduction du nombre de conseils régionaux de 22 à 15. Il est par conséquent évident que l’idée d’une réforme territoriale est impopulaire en ces temps de crise. A quoi s’ajoutent un désintérêt plus profond des gens pour une problématique qu’il faut bien qualifier de technocratique par bien des aspects, et des réflexes partisans de rejet à gauche du fait que ce soit un gouvernement de droite qui engage la réforme.
Et voilà comment on se retrouve avec une réunification normande souhaitée par 36% des Bas-Normands alors qu’ils étaient encore récemment 87,5% à y être favorable (sondage France3Normandie). Ou comment on se retrouve avec 27% de la population de Loire-Atlantique souhaitant la réunification, contre 67% y étant favorable en 2006 (sondage Ifop). De tels écarts ne sont pas dûs à un retournement de l’opinion publique sur le sujet, comme Ouest-France s’en réjoui, mais bien à la spécificité de l’enquête (cette fois, il y avait concurrence entre différents scenarii, alors
qu’auparavant on mesurait le niveau d’adhésion à un seul projet) et surtout à un faisceau d’éléments qui a plombé la question. S’il y avait bien un enseignement à tirer de ce sondage, c’est l’impopularité de la réforme territoriale engagée.
Une exploitation scandaleuse par Ouest-France
Sauf que les conclusions que tirent Ouest-France ne s’embarrassent pas de telles considérations. La victoire du statu quo est interprêtée comme un profond attachement des habitants de l’Ouest au découpage actuel. Ce n’est pas étonnant quand on sait que Ouest-France a soigneusement miné le terrain dans les deux semaines précédentes, en faisant la part belle aux réactions des opposants à la réunification de la Bretagne et en distillant savamment les prises de positions de ses « grandes plumes » (ainsi l’article de Didier Eugène, titré « Faut-il chambouler la cartes des régions ? », dont l’hostilité au redécoupage était déjà perceptible dans le titre).
Ouest-France exploite à fond et sans vergogne, de façon éhontée, les résultats du sondage pour asséner des conclusions, élevées au rang de vérités générales, et allant toutes dans son sens, celui d’un maintien des limites régionales actuelles. Petit florilège :
– « Région élargie : les Bretons ne sont pas partants »
– « A une très large majorité, les habitants des quatre départements bretons ne souhaitent pas la réunification. Ceux de la Loire-Atlantique n’en veulent pas non plus »
– « Les habitants de la Loire-Atlantique ne seraient pas du tout prêts à rejoindre leurs « compatriotes ». »
– « Pour les Nantais, le château des ducs de Bretagne doit rester en Pays de la Loire »
– « A ce niveau de majorité [en Pays de la Loire], on peut y voir un réel attachement, une volonté de ne pas casser l’unité qui se construit depuis un demi-siècle. »
L’ogre médiatique ne fait pas dans la demi-mesure et vole littéralement au secours de Ayrault et de ses petits copains socialistes, pour légitimer le découpage régional actuel et défendre le territoire technocratique par excellence qu’est la région Pays de la Loire. Les responsables politiques partisans du statu quo n’ont plus qu’à s’engouffrer dans la brêche, sachant que Ouest-France se fait un plaisir de publier leurs réactions, pour tenter de disqualifier définitivement la revendication de la réunification.
La réunification de la Bretagne face à une muraille
Il fallait s’y attendre. Les progrès inattendus de cette revendication ces derniers temps, et les espoirs nés avec, ont été sévèrement douchés. La France jacobine, Ouest-France en tête, ne peut se résoudre à laisser se reconstituer la Bretagne.
Sans en faire un enjeu primordial (ce serait absurde en cette période de régression des libertés, de chômage massif et de spasme du système capitaliste), la question de la réunification de la Bretagne a néanmoins son importance. A travers elle, c’est de la dignité et du respect des Bretons, et des communautés culturelles et historiques en général, dont il est question. La partition de la Bretagne doit se comprendre comme un des aspects de la domination du pouvoir français sur la Bretagne, un des aspects du déni de sa spécificité, de la même façon que la dépossession de son histoire, de ses langues, de sa culture, et de tout développement autonome.
La logique qui a présidé à la séparation du Pays Nantais du reste de la Bretagne, sous Vichy en 1941 et ensuite en 1964 sous la 5e république, est d’ordre politique et idéologique, et peut se résumer en cette phrase : casser la Bretagne et l’empêcher de former une région viable. Cette partition est aberrante parce qu’elle défie les limites stables de la Bretagne historique à travers l’histoire, et elle est arbitraire parce qu’elle a été réalisée, et avalisée par la 5e République, sans aucune consultation populaire, et même contre l’avis des populations concernées. Il y a là un véritable problème de démocratie. Toute la mesquinerie de Ouest-France consiste maintenant à brandir un sondage pour défendre le découpage actuel, et donc l’injustice de la partition, tout en ignorant superbement depuis des décennies la volonté populaire de réunification.
D’autant que le temps faisant son œuvre, le découpage arbitraire s’installe dans les esprits, aidé en cela par les médias (Ouest-France en tête et les multiples médias dans son orbite) et par l’école bien sûr, où l’histoire de Bretagne n’est pas enseignée (l’élève, toute sa scolarité, aura vu des carte de France où la Loire-Atlantique ne fait pas partie de la Bretagne). Sans compter une partie importante du personnel politique en Bretagne, jacobin donc fondamentalement hostile à une Bretagne réunifiée, et l’ensemble des hommes et femmes politiques de la région Pays de la Loire, trop conscients qu’une désagrégation de leur région administrative signifierait la perte douloureuse pour eux de rentes de situation.
Ouest-France vient de montrer avec éclat, en orientant ce sondage à son profit et en espérant en faire une arme décisice dans le débat actuel (ce sont ses petits amis des Pays de la Loire, comme Ayrault et Auxiette, qui doivent être fous de joie), que les forces de l’immobilisme n’ont rien perdu de leur vigueur et sont prêtes à toutes les manipulations pour faire échouer cette revendication. On saura s’en souvenir.
mars 2009